Santé Magazine n°475 – juillet 2015 /
Dans son laboratoire de recherche, Google X, le géant américain du Web espère créer un bracelet capable d’identifier et détruire les cellules cancéreuses présentes dans le sang. Un ambitieux projet qui laisse les scientifiques plutôt circonspects.
C’est une demande de brevet comme l’Organisation Internationale de la Propriété Intellectuelle (OMPI) en reçoit des centaines par jour. Sauf que celle-ci émane du géant américain Google, et qu’elle concerne ni plus ni moins que la mise au point d’un bracelet anticancer ! Si la validation définitive de ce brevet, ou son rejet, ne sera pas connue avant mars 2016, le bruit médiatique fait déjà rage. Véritable révolution médicale ou simple coup de communication de Google ?
Un argumentaire séduisant…
« La majorité des progrès faits récemment en matière d’amélioration du taux de survie dans le domaine du cancer l’ont été grâce à la mise au point d’outils de détection précoce », déclare en introduction Google X. Son projet de bracelet anticancer repose sur l’ingestion de nanoparticules magnétiques, capables de se lier aux cellules cancéreuses présentes dans le sang, et d’un dispositif extérieur porté au poignet et comportant un aimant, qui détecterait et même détruirait ces cellules (voir infographie). L’objectif est donc d’intervenir le plus tôt possible. Mais pour Daniel Fourmy, expert en nanomédecine et cancer à l’Université de Toulouse, « si certaines techniques évoquées sont déjà en partie maîtrisées, pour le reste, les verrous technologiques sont considérables, et Google X ne propose pour l’instant aucune réponse concrète. »
Des nanoparticules à améliorer
Utiliser des nanoparticules contre le cancer n’est en effet pas nouveau. Depuis plusieurs années, des nanoparticules magnétiques sont par exemple utilisées pour le diagnostic par IRM de certaines tumeurs. Mais le ciblage précis des cellules cancéreuses elles-mêmes reste pour l’instant du domaine de la recherche. De plus, « nous ne connaissons pas de marqueur universel du cancer. À chaque tumeur quasiment, il y a une signature particulière », précise Daniel Fourmy. Il faut donc développer autant de nanoparticules qu’il y a de cancers ! Par ailleurs, toutes les tumeurs ne relarguent pas de cellules dans la circulation sanguine. Les tumeurs de la prostate par exemple restent très longtemps confinées, et ne seraient donc pas détectées précocement par un tel bracelet. Dernier obstacle, et non des moindres : « avaler des comprimés de nanoparticules, pour l’instant c’est de la science-fiction, remarque le Pr François Berger, neurologue et spécialiste de nanomédecine. Aujourd’hui nous ne savons pas encore comment faire franchir la barrière de l’intestin à des nanoparticules. »
Un bracelet à inventer
Côté bracelet aussi, les interrogations sont multiples : selon le Pr Berger « il n’existe actuellement pas de technologie capable d’attirer précisément une nanoparticule magnétique qui circulerait dans le sang, grâce à un simple aimant à travers la peau. » Par l’intermédiaire de son directeur Andrew Conrad, éminent chercheur en biologie, Google X déclare y travailler, notamment en ayant mis au point une peau synthétique. C’est avec ce même modèle de peau que l’équipe tente de développer un système de détection d’ondes lumineuses que pourraient émettre les nanoparticules. Mais comment le bracelet parviendra-t’il à faire la différence entre nanoparticules libres et celles effectivement liées à une cellule cancéreuse ? C’est probablement pour répondre à cette question que Google X s’est allié à un laboratoire de recherche médicale de l’Université de Stanford, leur objectif : étudier chez des individus sains, les caractéristiques de base qui sont le signe d’une bonne santé. Et comment ensuite détruire ces cellules ? Google évoque le magnétisme, les ondes radios ou optiques, sans plus de précision pour l’instant.
Un cadre d’utilisation à préciser
Des questions éthiques se posent aussi. La principale : à qui faire porter un tel bracelet ? Si Google X songe à une utilisation quasi universelle, Daniel Fourmy estime quant à lui « qu’il est impensable qu’un tel dispositif, même s’il voit le jour, puisse être porté en continue par une personne lambda en bonne santé. Il faudrait commencer par prouver qu’à long terme, l’accumulation de nanoparticules dans le corps ne présente aucun risque. » Et ensuite définir à partir de quand la présence de cellules cancéreuses dans le sang représente un réel danger de maladie. François Berger estime lui qu’on pourrait « imaginer une utilisation durant une période donnée chez des personnes présentant un risque particulier. Par exemple pour surveiller une éventuelle récidive d’un cancer déjà soigné, ou pour des patients porteurs d’une mutation génétique prédisposant à un certain type de cancer ».
Sur l’avenir de ce projet, Google X est plutôt évasif, précisant qu’ils n’ont « pas pour habitude de commenter les demandes brevets, car cela ne signifie pas que nous allons à termes développer le produit. » On se souvient alors du projet Google Glass, ces lunettes à réalité augmentée annoncées à grand renfort de communication, puis finalement abandonnées, faute d’applications concrètes et de réels débouchés économiques…
Détecter et détruire les cellules cancéreuses
Le projet de bracelet anticancer de Google X repose sur deux composants :
– Des nanoparticules qui se fixent aux cellules cancéreuses circulant dans le sang : il s’agit de minuscules billes de quelques dizaines à centaines de nanomètres de diamètre, dont le noyau est magnétique et la surface recouverte de molécules capables de se lier spécifiquement aux cellules cancéreuses, selon un mécanisme de reconnaissance similaire à celui d’une clé et d’une serrure. Selon Google X, ces nanoparticules « peuvent être ingérées sous forme de comprimés et passer ensuite dans la circulation sanguine. »
– Un bracelet équipé de capteurs spéciaux : ce dispositif créerait un champ magnétique suffisant pour attirer toutes les nanoparticules jusque dans les vaisseaux du poignet, puis « des techniques non invasives de type ondes radios ou lumineuses » détruiraient les cellules cancéreuses alors liées aux nanoparticules.