Avril 2016 – Profession sage-femme n°224 /
Les vomissements incoercibles représentent la première cause d’hospitalisation au 1er trimestre de grossesse. Plusieurs médicaments peuvent être envisagés pour soulager les femmes concernées. Pourtant, nombre d’entre elles témoignent encore d’une absence de prise en charge.
« 9 mois avec ma bassine » : un titre de blog qui pourrait faire sourire. Mais la réalité est moins rose : créé en 2009, il recense des dizaines de témoignages sur l’hyperémèse gravidique. Des textes glaçant, certaines vont jusqu’à interrompre leur grossesse tant elles souffrent, et d’autres heureusement plus optimistes. Il existe en effet une grande variété de médicaments pour soulager ces femmes, et des médecins qui n’hésitent pas à tout essayer pour les aider. Malheureusement cette maladie reste encore souvent ignorée ou mal prise en charge, à cause de l’absence de recommandations émises pas les sociétés savantes françaises, mais aussi d’une vieille habitude de notre pays à « psychiatriser » certaines affections féminines.
Une maladie mal définie
« Il n’existe pas de définition précise de l’hyperémèse gravidique, explique le Dr Norbert Winer, chef de service de la maternité du CHU de Nantes. La difficulté c’est de déterminer quand passe-t’on du normal ou physiologique, au potentiellement grave et pathologique. Cela dépend de la perte de poids de la patiente et du risque de retentissement fœtal sur son bien-être et sa croissance. » L’important n’est donc pas le nombre de vomissements par jour, mais plutôt le fait qu’ils soient incoercibles malgré des mesures diététiques et d’hygiène de vie qui sont en général les premières réponses mises en œuvre. « Lorsque la perte de poids dépasse les 5 % (du poids avant grossesse, ndlr), on commence à s’inquiéter. Lorsque les 10% sont franchis et/ou que la femme souffre de déshydratation, on hospitalise », poursuit-il. Autre critère important, la cétose, qui peut être identifiée grâce à une recherche d’acétone dans les urines : « chez une femme enceinte non diabétique, la cétose est signe d’un jeûne prolongé. Or cette cétose favorise les vomissements. On entre donc dans un cercle vicieux qu’il faut absolument briser », explique le Dr Philippe Deruelle, chef de la maternité du CHRU de Lille et secrétaire général du CNGOF.
On ne dispose pas d’études épidémiologiques précises, mais différentes publications estiment que 0,3 à 1 % des femmes enceintes seraient affectées, soit 2500 à 9500 Françaises chaque année. Même dans son estimation la plus basse, c’est un chiffre qui ne peut être ignoré.
Psychiatrisation et mise à l’isolement
« Le protocole de prise en charge est très variable d’une maternité à l’autre, témoigne le Dr Winer. Le côté « psy » a très longtemps prédominé, on incriminait alors l’environnement et le vécu des femmes enceintes. Les hospitaliser consistait à les isoler dans une chambre, plongées dans la pénombre et privées de toute visite. » En 2003, une thèse de médecine a été consacrée à ce sujet*, on lit notamment dans l’introduction : « ces femmes soufrant de vomissements gravidiques sévères sont peut-être toujours et encore perçues comme dérangeantes et difficiles à prendre en charge. Ainsi longtemps, l’étiquette d’hystérique leur a « collé à la peau », ce qui a probablement contribué à l’entretien d’une certaine forme de relégation, voire de ségrégation au sein des services de maternité. Il semble que les psychanalystes et les psychiatres ont eu, de ce point de vue, une responsabilité non négligeable. De fait, au plan de la prise en charge thérapeutique, la pratique de l’isolement thérapeutique reste, dans certains cas les plus sévères, après échec de moyens même médicamenteux à visée sédative, un des piliers du traitement. Il est bien entendu aisé de percevoir l’écho de cette pratique avec l’emploi de l’isolement tel qu’il avait été préconisé par Charcot et ses collaborateurs avec l’entrée de l’hystérie fin XIXème dans le cercle des névroses. »
Le Dr Winer, de la maternité du CHU Nantes, l’assure : « désormais une telle pratique est tout à fait exceptionnelle. On envisage avant tout l’aspect physiologique de la maladie. Ce n’est que lorsqu’on est en situation d’échec thérapeutique, et après une concertation pluridisciplinaire avec des endocrinologues notamment et des psychiatres qu’éventuellement on songe à de telles mesures. Mais c’est extrêmement rare. » Un avis partagé par le Dr Deruelle, chef de la maternité du CHRU de Lille et secrétaire général du CNGOF : « aujourd’hui l’isolement n’est pas envisagé comme traitement de 1ère intention. Sans pour autant négliger qu’il y ait parfois des facteurs psychologiques, l’hyperémèse gravidique ne doit plus être considérée comme une maladie psychiatrique. »
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