Article paru dans Recherche & Santé n°164 – La revue de la Fondation pour la Recherche Médicale – automne 2020 /
L’expérimentation animale soulève de vives oppositions dans le débat public. Et de plus en plus de méthodes permettent aujourd’hui d’expérimenter sans ne plus avoir recours aux modèles animaux. Pour autant, cela « reste un maillon indispensable pour comprendre, soigner, guérir », comme l’ont écrit plus de 400 chercheurs dans une tribune publique publiée il y a deux ans. Pourquoi reste t-elle nécessaire ? Comment est-elle encadrée aujourd’hui ?
Points de vue de deux experts du domaine.
Nathalie Vergnolle
Directrice de l’Institut de santé digestive, à Toulouse, Prix Recherche 2018 de l’Inserm
Dans le domaine des sciences du vivant, la recherche s’effectue à plusieurs niveaux. À l’échelle moléculaire, cellulaire ou tissulaire, nous disposons de plus en plus de modèles développés en laboratoire, réels ou informatiques, qui nous permettent de nous affranchir de l’animal. Mais à une échelle macroscopique c’est encore impossible : un organisme c’est un assemblage complexe et connecté, des organes qui interagissent et sont reliés aux systèmes vasculaire, nerveux, immunitaire, hormonal… À quoi s’ajoutent toutes les interactions avec l’environnement. Ainsi, ce que l’on peut observer sur une cellule ou même un assemblage de différents types cellulaires peut s’avérer complètement différent dans un organisme vivant ! Dans mon laboratoire par exemple, nous développons des organoïdes humains (voir Recherche & santé n°161) : à partir de cellules souches, un mini-organe constitué de plusieurs types de cellules est cultivé sur un support en trois dimensions et reproduit au moins une fonction de cet organe. C’est très utile pour certains types de travaux et évite un recours immédiat aux modèles animaux, mais c’est encore bien trop simpliste pour remplacer un organe entier connecté avec l’ensemble des autres organes tel qu’observé dans un modèle animal. Pour l’instant, il est donc impossible de se passer de l’expérimentation animale, surtout dans le domaine de la toxicologie et du développement de médicaments, où une molécule donnée peut avoir des effets très différents d’un organe à l’autre, avec en plus des réactions en cascades. Vouloir passer directement des tests in vitro aux essais cliniques chez l’être humain est inenvisageable aujourd’hui, d’un point de vue scientifique et éthique.
Hervé Chneiweiss
Président du comité d’éthique de l’Inserm depuis 2013, directeur de l’unité de recherche Neuroscience Paris Seine
La recherche animale est indispensable mais il ne faut pas oublier qu’elle est très encadrée, au niveau national avec la Charte nationale sur l’éthique de l’expérimentation animale qui existe depuis 1992 et les comités d’éthique en expérimentation animale créés en 2000, et au niveau européen par une directive adoptée en 1986 et révisée en 2001. Celle-ci repose sur le principe des 3R : Réduction du nombre d’animaux utilisés, Raffinement des recherches c’est-à-dire n’utiliser que le nombre nécessaire d’animaux et uniquement lorsque c’est indispensable, et Remplacement, qui signifie que l’on substitue l’animal par un modèle cellulaire ou informatique dès que c’est possible. Par ailleurs, avant tout projet d’expérimentation impliquant des animaux, les chercheurs doivent soumettre un protocole très détaillé et être formés spécifiquement à cela. Ces dispositions réglementaires sont contrôlées par les services vétérinaires compétents. Et des sanctions sont possibles en cas de non respect de celles-ci. Cet encadrement est amené à évoluer de façon encore plus contraignante car, à terme, l’objectif de cette directive européenne est très clairement de supprimer l’expérimentation animale. Mais il va falloir beaucoup de temps et de travail avant que cela ne soit possible. Pour mettre au point de bons modèles pour remplacer un organisme vivant, il faut en comprendre parfaitement les mécanismes et être capable de les imiter le plus précisément possible. Et le vivant recèle encore beaucoup de mystères !