Article paru dans Recherche & Santé n°164 – La revue de la Fondation pour la Recherche Médicale – automne 2020 /
Depuis une quarantaine d’années, on sait modifier le patrimoine génétique d’une cellule végétale ou animale, et donc d’un individu tout entier. Récemment, l’avènement de nouvelles techniques beaucoup plus faciles à utiliser a relancé le débat éthique. C’est notamment le cas de la technique dite des ciseaux moléculaires, qui a valu cette année le Prix Nobel de Chimie à deux femmes dont une Française, Emmanuelle Charpentier.
Points de vue de deux experts du domaine.N
Pr Marina Cavazzana
Cheffe du département de Biothérapie et du Centre d’Investigation Clinique de biothérapie de l’Hôpital Necker-Enfants malades (AP-HP), codirectrice du laboratoire de Lymphohématopoïèse humaine à l’Institut des maladies génétiques Imagine (Paris)
Il existe différentes techniques de modification du génome, aux enjeux bien différents. Lorsqu’on intervient sur des cellules somatiques*, les modifications génétiques ne sont pas transmissibles d’une génération à l’autre. C’est précisément ce que l’on fait avec la thérapie génique, qui est très encadrée en France : nous apportons un « gène médicament » dans une population de cellules précises qui doit être corrigée pour fonctionner correctement. La personne ainsi traitée ne transmet pas ce « gène médicament » à sa descendance. Alors qu’avec les nouveaux outils moléculaires, comme par exemple CRISPR-Cas 9, il est beaucoup plus facile de modifier le génome de toute une lignée de cellules en culture. S’il s’agit de cellules embryonnaires qui sont ensuite implantées dans un organisme pour se développer et donner naissance à un nouvel individu, alors les modifications génétiques concerneront toutes ses cellules, les somatiques et les reproductrices, et seront donc héréditaires. Or en l’état actuel des connaissances, nous n’avons aucune preuve de l’efficacité et surtout de l’innocuité de cette approche pour traiter une maladie génétique. Par ailleurs, les possibilités actuelles en matière de prévention, de diagnostic, de procréation médicalement assistée, de diagnostic préimplantatoire et de thérapie génique somatique nous permettent de ne pas avoir besoin de manipuler le patrimoine génétique d’un embryon tout entier pour en corriger un défaut. Il n’y a pas lieu d’autoriser de telles manipulations en dehors de la recherche. L’inquiétude vient plutôt d’autres pays, notamment la Chine, où l’encadrement est moindre voire inexistant, et les dimensions éthiques très différentes.
Michel van Praët
Professeur émérite au Muséum national d’Histoire naturelle, département Hommes Natures Sociétés et membre du Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE)
D’un point de vue éthique, il est important de distinguer différentes formes d’incertitude qui entourent cette question. Il y a l’incertitude liée au manque de connaissances quant à l’utilisation précise des techniques de modification de génome et à leurs impacts. Les progrès scientifiques devraient permettre de diminuer cette part de doutes. Mais il y a aussi l’incertitude liée au hasard et au brassage génétique inhérents à l’évolution de toute espèce vivante. Et ce hasard-là, nous ne pourrons jamais le contrôler !
En France, il existe des textes réglementaires pour encadrer précisément la thérapie génique sur les cellules somatiques. La modification génétique de cellules reproductrices est quant à elle interdite car il y a justement encore trop d’incertitudes. Dans un avis rendu cet été, le CCNE a estimé que la réglementation pourrait en effet évoluer sur ce point. D’abord, il est primordial d’encourager les recherches pour améliorer nos connaissances. Par ailleurs, le CCNE est ouvert à la possibilité d’autoriser la répération du génome de cellules reproductrices chez l’être humain, à la condition qu’il n’existe aucune autre solution thérapeutique ou préventive. Or aujourd’hui nous disposons tout de même de nombreuses techniques pour lutter contre les maladies génétiques. Par ailleurs, d’éventuelles modifications héréditaires du génome ne devront bien sûr être envisagées uniquement dans le cadre d’une pathologie précise, et non pas avec des visées d’eugénisme*. Vouloir contrôler parfaitement notre patrimoine génétique et son évolution est tout à fait illusoire et éthiquement inenvisageable. Là dessus, le CCNE est formel.