Article paru dans « Cheval Magazine » n°567 février 2019 /
Et si nous ne connaissions toujours pas l’ancêtre de nos chevaux domestiques ? Et s’il n’existait plus aucun cheval sauvage sur Terre ? Et si l’homme n’était pas responsable de la disparition du cheval en Amérique ? De récentes études scientifiques bouleversent l’arbre généalogique des équidés modernes.
« Ce que l’on vient de découvrir sur le cheval moderne, c’est comme si l’on s’apercevait que l’Homme n’est pas né en Afrique », déclare Ludovic Orlando, directeur de recherche au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), et professeur d’archéologie moléculaire à l’Université de Copenhague. À la tête d’une quarantaine de scientifiques du monde entier, il vient de publier en février 2018 dans la revue Scienceune étude qui ébranle tout ce que l’on croyait savoir. Elle affirme en effet que nos chevaux modernes ne descendent pas des tous premiers équidés domestiqués dans les plaines du Moyen-Orient. Autre révélation, les descendants de ces premiers individus domptés sont en réalité les chevaux de Przewalski, dont on pensait au contraire qu’ils étaient les derniers chevaux sauvages sur notre planète (lire ci-contre) ! De quoi donner le tournis aux historiens.
Pour les historiens justement, le cheval tient une place très importante : « C’est l’animal qui a le plus influencé l’histoire de l’humanité », résume Jean-Pierre Digard, directeur de recherche émérite au CNRS, spécialiste de la domestication animale et de l’histoire du cheval. Certes, il a été domestiqué tardivement, 10 000 ans après le chien et 5 000 ans après les ongulés (chèvres, cochons, bœufs). Mais « l’invention de la roue puis d’un harnachement complet – mors, selle et surtout étriers – a révolutionné la mobilité et l’agilité des soldats, avec l’avènement des cavaleries au début de notre ère, décrit l’anthropologue. Sans le cheval, les plus grands empires de l’histoire, tels les Scythes durant l’Antiquité, les Mongols au Moyen-Âge et plus tard l’empire Ottoman n’auraient jamais existé !» Plus près de nous, il fût un acteur majeur de la conquête de l’ouest américain. De fait, le cheval a profondément marqué la diffusion des biens, des cultures, des langues, et même des gènes humains dans le monde entier.
Traces archéologiques et ADN fossiles
Comprendre sa domestication intéresse donc beaucoup les chercheurs. Et Ludovic Orlando est de ceux-là. Son outil de prédilection : la paléogénétique, c’est-à-dire l’étude des génomes anciens. Il détient d’ailleurs le record mondial de la discipline, avec le séquençage en 2013 du plus ancien génome jamais décrypté, celui d’un cheval mort il y a plus de 700 000 ans (lire Cheval Magazine n°512 juillet 2014). Pourquoi s’intéresser à l’ADN fossile ? Parce qu’ « il est impossible de retracer l’histoire du cheval à partir des seuls génomes actuels. Cette espèce a subi plusieurs “goulots d’étranglement” dans son histoire », explique t’il. Il y a eu en effet plusieurs épisodes de réduction importante du nombre d’individus et aussi de la diversité génétique : nos pratiques d’élevage ces deux derniers siècles, basé sur l’utilisation d’un très petit nombre d’étalons et sur une endogamie très forte au sein de chaque race (reproduction entre individus apparentés), a gommé toute trace du passé dans le génome du cheval moderne.
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