Septembre 2016 – Profession sage-femme n°228 /
INTERVIEW
« Ne pas psychologiser systématiquement l’accompagnement du deuil périnatal »
Jocelyne Clutier Seguin, sage-femme, et Rose-Marie Toubin, pédopsychiatre, exercent depuis de nombreuses années au CHU de Montpellier. Elles viennent de coordonner l’ouvrage « Deuil en maternité » (Éd. Érès, mai 2016) où l’on retrouve des témoignages de parents et de professionnels.
La littérature grise autour du deuil périnatal est de plus en plus riche, pourquoi avoir choisi de coordonner cet ouvrage ?
Jocelyne Clutier Seguin : J’ai terminé mes études de sage-femme en 1978, juste au moment de la loi Veil qui instaurait le droit à l’IVG et codifiait les conditions d’une IMG. Alors que je commençais ma carrière, ces deux techniques se sont développées de façon très rapide, en parallèle avec l’essor du diagnostic prénatal. Très rapidement donc, j’ai été confrontée au deuil périnatal sans réelle formation, il fallait inventer des outils pour accompagner les parents. Au fur et à mesure de ma carrière, j’ai vécu les évolutions des pratiques au sein même des équipes dans lesquelles j’ai travaillé, avec les questionnements venant des professionnels de soin comme des parents concernés. Cet ouvrage revient en quelque sorte sur ces 30 années.
Rose-Marie Toubin : Il existe en effet de plus en plus de livres sur le sujet, écrit par des psychologues, des pédopsychiatres, des psychanalystes mais aussi des sociologues, des philosophes et même des écrivains. À travers cet ouvrage, notre objectif est de donner la parole à tous les interlocuteurs directs d’une femme, d’une famille sous le choc, maintenant et dans la durée. En plus des sages-femmes, gynéco-obstétriciens et pédopsychiatres on trouve par exemple des textes écrits par des fœtopathologistes, des auxiliaires de puéricultures, des aides soignantes, des médecins généralistes ou encore des anesthésistes, ce qui est très rare voire inédit sur ce sujet. Toutes les professions sont représentées car pour nous, l’accompagnement pluriprofessionnel des parents et le travail en équipe sont cruciaux. Par ailleurs, il ne s’agit pas seulement d’évoquer le deuil d’un bébé né à terme ou d’une IMG, sont aussi traités des sujets comme le suivi de grossesse suivante, la fausse couche tardive, ou encore l’accouchement sous X qui pour la mère peut impliquer une certaine forme de deuil de l’enfant né.
Ce livre rassemble aussi beaucoup de témoignages de parents. Pourquoi est-ce important ?
J. C. S. : Pour le retour d’expériences ! En tant que soignants, nous ne mesurons pas toujours l’ampleur et l’impact positif ou négatif d’un geste effectué ou d’une parole prononcée. Certaines choses nous semblent anodines, mais vont en fait avoir des répercussions considérables sur le vécu des parents. Sans leurs témoignages, il nous serait très difficile de faire évoluer nos pratiques, de nous adapter à leurs attentes et à leur ressenti.
R.-M. T. : Depuis une trentaine d’années, psychologues et psychiatres se sont progressivement familiarisés avec le monde médical : nous sommes rentrés dans les services hospitaliers, dans les salles de soins et d’accouchement, nous connaissons maintenant les pratiques des professionnels. Lorsque les parents évoquent certaines difficultés, un geste technique ou une information donnée par un soignant qui ont pu leur poser problème par exemple, nous sommes désormais beaucoup plus facilement en mesure de comprendre de quoi il s’agit, et donc d’en parler avec le professionnel de santé. Ce qui par la suite, permet que parents et soignants abordent cela ensemble directement..
L’un des articles de l’ouvrage développe le concept de consultation pré IMG. Pouvez-vous nous en dire plus ?
J. C. S. : Cela fait plusieurs années qu’elle existe à la maternité du CHU de Montpellier et il semble que cela s’installe progressivement dans d’autres maternités. Elle a lieu après la prise de décision d’une IMG. Un moment important : la décision est arrêtée, c’est un point de « non retour ». La sage-femme de coordination reprends avec les parents les étapes depuis la découverte de la grossesse, revient sur les moments d’annonce dans le parcours diagnostic, s’assure de la bonne compréhension des évènements, anticipe l’ensemble du parcours. Il faut aborder la question du devenir du corps de l’enfant, de la possibilité de le voir et toucher, parler des démarches administratives, repérer les fragilités et les soutiens familiaux. Puis le gynécologue-obstétricien leur explique le protocole médical.
R.-M. T. : Cette consultation permet de repérer les premières difficultés psychologiques, les couples qui présentent des vulnérabilités, des difficultés à vivre et communiquer leurs émotions. Car ce sont ces couples-là qui vont ensuite avoir besoin de nous, pédopsychiatres ou psychologues. Il est parfois tentant de « psychologiser » à outrance un évènement de vie pour obtenir une évaluation des risques à tout prix et cela peut être contre-productif ! Par ailleurs, on passe beaucoup de temps auprès des équipes soignantes. L’effort d’anticipation de la rencontre avec des professionnels bien coordonnés et en sécurité est souvent suffisant pour que des parents retrouvent de la sécurité par rapport à leur ressenti et n’aient pas besoin de nous rencontrer.
Vous avez aussi une consultation de reprise des antécédents obstétriques traumatiques. De quoi s’agit-il ?
J. C. S. : C’est l’aboutissement d’une longue collaboration entre sages-femmes et pédopsychiatres au moment de la création du Centre de Diagnostic Prénatal (CDPN). Il est rapidement apparu un écart important entre le vécu des parents et notre vision médicale des situations. Par ailleurs, les parents cloisonnent beaucoup : ils ne racontent pas la même chose à une sage-femme ou un psychologue. Ce n’est pas une consultation systématique, elle a lieu lorsqu’est diagnostiqué un stress post traumatique faisant suite à un événement obstétrical compliqué. Le plus souvent, ce sont des pédopsychiatres intervenant en périnatalité qui m’adressent ces patientes. Lors de cette consultation je reprends l’historique obstétrical de la femme : il arrive alors que des évènements traumatiques ressurgissent. C’est à nous de leur laisser la place et le temps pour en parler. Si des fragilités particulières sont mises en évidence, on peut orienter la patiente ou le couple vers un psychiatre.
R.-M. T. : Souvent les parents ont souffert d’un manque d’écoute, de compréhension, mais ne l’expriment pas toujours. Or reprendre l’historique médical avec une sage-femme permet parfois de libérer cette parole, et que cela peut être beaucoup plus utile et réparateur que si c’était fait avec à un psy. Cette consultation, avec celle pré-IMG, sont en quelque sorte des outils de résilience que nous mettons à la disposition de nos patients. Cela n’est possible que parce qu’il y a une interaction très forte entre soignants et pédopsychiatres et psychologues. Il faut permettre aux soignants d’investir le domaine des émotions de façon plus sereine, sans pour autant être seuls à le prendre en charge.
Quel type de travail en équipe a permis l’émergence d’une telle pratique dans votre maternité ?
J. C. S. : Nous avons depuis longtemps des pédopsychiatres très impliqués, notamment au début de ma carrière le Dr Françoise Molénat (qui a travaillé en périnatalité et beaucoup publié sur le sujet, ndlr). Dès l’essor du diagnostic prénatal, elle est venue au contact des équipes soignantes. Pas pour nous dire comment faire ou nous juger mais au contraire pour nous aider, nous interroger sur nos difficultés, pour nous faire réfléchir collectivement. Le Pr Pierre Boulot, chef de service, a toujours favorisé ces collaborations au sein de la maternité.
R.-M. T. : La rigueur dans notre approche pluridisciplinaire est importante et permet que chaque parent puisse être accueilli avec toute sa subjectivité dans notre maternité. Dès le départ, ne pas « psychologiser » systématiquement l’accompagnement du deuil périnatal a été un axe majeur de la prise en charge. Même si nous avons obtenu depuis le dernier plan périnatalité des moyens psychologiques supplémentaires. Le but est que chaque acteur du soin soit le plus en sécurité possible pour rentrer en relation avec les parents et les orienter si besoin. Toutes les professions de santé et dans le domaine social qui sont au contact des parents de l’anté au postnatal doivent être concernées, formées, et interagir avec les autres soignants.