Développer un pancréas artificiel autonome

Article paru dans Recherche & Santé n°150 Interview du Pr Éric Renard – La revue de la Fondation pour la Recherche Médicale – mai 2017 /


« Notre objectif est de développer un pancréas artificiel le plus autonome possible »

Le Pr Eric Renard dirige depuis 2010 le département d’endocrinologie, de diabétologie et de nutrition de l’hôpital Lapeyronie (CHU de Montpellier). C’est un spécialiste mondialement reconnu dans le développement de nouvelles thérapeutiques pour les diabétiques : il a ainsi coordonné plusieurs essais cliniques de pancréas artificiel.

Depuis quelques années, capteurs de glycémie et pompes à insuline ont beaucoup amélioré la vie des patients diabétiques. De quoi s’agit-il ?
Pr Eric Renard : Parce que son pancréas est défaillant, un diabétique de type I* est obligé de vérifier sa glycémie* en se piquant le bout du doigt, et de s’injecter si besoin une dose d’insuline sous la peau ; et ce, plusieurs fois par jour. Depuis une quinzaine d’années, il existe deux dispositifs qui assurent ces fonctions en continu : un capteur implanté sous la peau qui mesure en temps réel la glycémie et une pompe à insuline qui délivre des doses ajustables grâce à un fin tuyau lui aussi introduit sous la peau. Des milliers de malades dans le monde sont ainsi équipés : en fonction des informations fournies par le capteur, ils ajustent eux-mêmes les doses d’insuline délivrées par leur pompe.

 En quoi le pancréas artificiel améliore-t-il ce système ?
E. R. : L’objectif est d’automatiser tout cela grâce à un troisième élément, géré par un smartphone ou une tablette : il s’agit d’un programme informatique sophistiqué. Ce programme calcule les doses d’insuline à délivrer à partir des informations fournies par le capteur de glycémie et commande directement la pompe, sans intervention du patient. Les équipes universitaires comme la nôtre, développent des programmes les plus intelligents possible, capables de s’adapter à des situations diverses (sommeil, activité physique, repas…) tout en garantissant une sécurité maximale, car hyper- ou hypoglycémies peuvent avoir des conséquences très graves pour les patients.

Votre équipe a été la première à tester un pancréas artificiel en situation de vie réelle. Quels ont été les résultats ?
E. R. : En 2015, nos patients ont testé la machine chez eux pendant deux mois. Le pancréas artificiel était mis en marche uniquement le soir, avant le dîner, et durant toute la nuit. Les résultats ont été très encourageants : cette utilisation a permis de réduire significativement la survenue d’hypoglycémies la nuit. C’est un bénéfice immédiat pour les patients. Par ailleurs, nous avons aussi constaté une amélioration du temps passé avec une glycémie normale et ainsi du contrôle global de leur diabète : leur hémoglobine glyquée* était plus basse.

Les patients ont ensuite testé la machine 24h sur 24, comment cela s’est il passé ?
E. R. : Nous avons coordonnée une étude inetrnationale (France, Hollande et Italie) dans laquelle une vingtaine d’adultes a en effet testé dans la continuité de l’étude précédente la machine en continu 24h/24 durant 1 mois. Cette étude cumulée, une des plus longues jamais réalisées en conditions de vie réelle, a été publiée l’été dernier. Nos résultats montrent que si la plupart des bénéfices sont obtenus grâce au contrôle nocturne de la glycémie, l’utilisation de la machine dans la journée aussi permet d’améliorer encore plus le contrôle du diabète en réduisant les écarts glycémiques par rapport à la normale. L’objectif est désormais de tester la machine durant 6 mois.

Cependant, ce pancréas artificiel a encore des limites… Lesquelles ?
E. R. : Le patient doit encore intervenir avant chaque repas, en indiquant la quantité de glucides qu’il prévoit d’ingérer afin que le programme calcule la bonne dose d’insuline. Cette intervention est nécessaire car l’insuline est injectée dans le liquide interstitiel où baignent les cellules, et non dans le sang directement, comme c’est le cas naturellement avec le pancréas. Du coup, cela met quelques dizaines de minutes avant d’agir réellement sur la glycémie. La mise au point d’une insuline qui agit plus rapidement devrait permettre au pancréas artificiel d’être plus efficace et encore plus autonome. Des équipes de recherche de l’industrie pharmaceutique travaillent sur ce sujet. Pour le reste, beaucoup de progrès ont été faits quant aux machines elles-mêmes. Ainsi le fabricant américain Medtronic, l’un des leaders mondiaux en matière de pompe à insuline, prévoit de commercialiser dès cette année une pompe qui renfermera elle-même le programme informatique. Il n’y aura donc plus besoin de smartphone ou de tablette pour faire le lien entre pompe et capteur.

 

* Diabète de type 1 : forme de diabète (environ 10 % des diabètes) d’origine auto-immune, due à la destruction des cellules du pancréas sécrétant l’insuline (hormone régulant le taux de sucre dans le sang).
* Glycémie : taux de sucre dans le sang.
* Hémoglobine glyquée (ou HbA1c) : mesurée dans le sang, elle permet d’évaluer l’équilibre glycémique sur une longue période (environ 2 à 3 mois), alors que la glycémie reflète un état à un instant t.

 

Biographie d’Eric Renard
1987 : thèse de doctorat en médecine à la Faculté de Montpellier
1992 : chercheur doctorant au Joslin Diabetes Center (Harvard Medical School, Boston, Etats-Unis)
1995 : thèse de doctorat en biochimie & biologie moléculaire à l’Université de Montpellier
Depuis 2010 : directeur du Centre d’investigation clinique INSERM/ CHU de Montpellier
Depuis 2012 : dirige une équipe de recherche à l’Institut de Génomique fonctionnelle (Inserm U1191 / CNRS UMR 5203 / Université de Montpellier)

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