Article paru dans Recherche & Santé n°168, la revue de la Fondation pour la recherche médicale – septembre 2021 /
Des substances ne contenant aucun principe actif, ou des pratiques thérapeutiques sans action spécifiques peuvent améliorer l’état de santé de certains malades. C’est ce qu’on appelle l’effet placebo. Largement étudié depuis de nombreuses années, il n’est aujourd’hui pas remis en cause même s’il comporte de nombreuses limites.
Points de vue de deux experts sur cette question.
Didier Bouhassira
Médecin et neurologue, directeur de l’unité Inserm 987 « Physiopathologie et pharmacologie clinique de la douleur » à l’hôpital Ambroise-Paré (AP-HP, Boulogne-Billancourt)
Dans la lutte contre la douleur, l’effet placebo est un mécanisme très efficace. Qu’il s’agisse de douleurs légères ou très importantes, et qu’on utilise du paracétamol ou de la morphine comme médicament en comparaison, on a toujours entre 30 et 40 % des patients traités par un placebo qui voient leur douleur soulagée aussi bien qu’avec le traitement actif. C’est quelque chose qui a été observé à de multiples reprises dans des études scientifiques très sérieuses. On utilise par exemple l’imagerie fonctionnelle* pour voir ce qui se passe dans le cerveau pour comprendre cet effet placebo. On sait par ailleurs que cet effet puissant peut durer des mois voire des années. Et parfois même, on observe aussi des effets secondaires comme pour un antidouleur classique ! C’est dire la puissance du cerveau et de l’organisme pour recréer un effet thérapeutique. Cela a pour conséquence que, lorsqu’on donne un véritable médicament, il y a en réalité deux effets, celui de la substance active qu’il contient, mais aussi un effet placebo non spécifique. L’effet placebo est un des meilleurs exemples de la relation corps/esprit, c’est-à-dire comprendre comment notre esprit et notre corps interagissent. Aujourd’hui on fait des études pour voir comment influer sur cet effet placebo, s’il est possible par exemple de l’augmenter en utilisant la stimulation magnétique transcrânienne, une technique non invasive et non dangereuse.
*imagerie fonctionnelle : technique d’imagerie médicale (IRM, scanner…) permettant de visualiser le fonctionnement du cerveau.
François Chast
Pharmacien, ancien chef du service de pharmacie clinique à Cochin – Hôtel Dieu et Necker Enfants malades (AP-HP, Paris), président honoraire de l’Académie de pharmacie
Certains considèrent que les placebos sont de « faux médicaments », au sens où ils ne contiennent pas de substance active. Mais force est de constater que, dans plus de 35 % des situations, ils agissent ! L’effet placebo est bel et bien réel. Il ne s’agit pas d’une vue de l’esprit. Et cela n’existe d’ailleurs pas qu’avec les médicaments, en chirurgie aussi cela a été observé et étudié. Par exemple concernant la méniscectomie, qui consiste à enlever le ménisque pour soulager l’articulation du genou : il a été démontré qu’on obtient le même effet avec une opération fantôme ou placebo qu’avec une véritable opération. En pratique, on endort le patient, on provoque une cicatrice sur le plan cutané, sans intervenir sur le ménisque. D’ailleurs cet effet placebo existe aussi lorsqu’on prescrit un « placebo honnête », ou conscient, c’est-à-dire lorsqu’on donne au patient un médicament ne contenant aucune substance active mais qu’on l’informe sur l’existence de cet effet placebo. Cela démontre que la qualité de la relation entre le médecin et son patient est l’un des fondements de l’effet placebo. Par ailleurs, son intensité varie si le médicament est administré par voie orale ou en intraveineuse par exemple, mais aussi selon la réputation et l’implication du médecin, l’état d’esprit du patient, notamment son rapport à l’autorité médicale comme sa volonté de guérir ou la nature de son attente. Mais il y a quand même des limites. Le cerveau et le corps ne peuvent pas tout. Dans le cas des maladies infectieuses, des cancers ou des lésions organiques, l’effet placebo peut être utile mais il ne peut suffire à lui seul.