Les médecines complémentaires à l’épreuve de la science FRM#146

Interview de Bruno Falissard, chercheur Inserm pour « Recherche & Santé » n°146 – La revue de la Fondation pour la Recherche Médicale – avril 2016

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De récents rapports d’expertise de l’Inserm se sont intéressés aux soins non conventionnels tels que l’hypnose. Pour que ces évaluations soient pertinentes, il est important que les chercheurs adoptent de nouvelles méthodes. Une évolution qui devrait aussi être profitable à la médecine ”classique“.

LE PR BRUNO FALISSARD est professeur de santé publique à l’Université Paris-Sud. Polytechnicien et médecin, il s’est spécialisé dans la psychiatrie puis dans l’épidémiologie. Directeur de l’unité Inserm U1018 CESP « Centre de recherche en Epidémiologie et Santé des Populations », il a coordonné plusieurs rapports d’expertise de l’Inserm sur les thérapies non conventionnelles, et est membre de l’Académie de médecine depuis 2014.

Quelle est la position de la recherche scientifique face aux thérapies non conventionnelles ?
Bruno Falissard : Pour des raisons sociologiques, il y a toujours eu une tension entre médecine “classique” et soins non conventionnels. Le fossé s’est creusé au 19e siècle quand s’est développée une médecine fondée sur la biologie, avec l’idée qu’en comprenant mieux les maladies, on pourrait les guérir. Mais, curieusement, ça n’a pas fonctionné à 100% : il existe de nombreux médicaments efficaces dont le mode d’action est inconnu, et vice-versa, des maladies dont on comprend très bien les mécanismes mais que l’on ne parvient pourtant pas à soigner. La France est un pays cartésien et positiviste qui a longtemps ignoré les thérapies non conventionnelles, au titre qu’elles ne reposent pas sur une approche physiopathologique classique. Mais il faut parfois accepter de bouleverser ses habitudes, surtout quand on est scientifique ! Pour accompagner un mouvement général de la société qui fait de plus en plus appel à ces thérapies, la Direction Générale de la Santé a décidé en 2010 de financer un programme pluriannuel d’évaluation des pratiques de soins non conventionnelles.

Grâce à ce programme, plusieurs rapports d’expertise ont été réalisés par l’Inserm. Vous avez dirigé celui sur l’hypnose. Quelles sont les conclusions ?
B. F. : Plusieurs études convaincantes montrent que l’hypnothérapie permet de diminuer les doses de médicaments nécessaires lors d’une anesthésie générale. C’est tout à fait intéressant lorsqu’on opère des personnes dont l’organisme est déjà fragilisé. Pour le reste, on manque d’études satisfaisantes. Par exemple l’hypnose a été évaluée comme alternative à la péridurale pour gérer les douleurs lors de l’accouchement. Les études montrent que sur le moment, il n’y a pas de diminution significative de la douleur, donc a priori pas d’intérêt de l’hypnose. Cependant, plusieurs semaines après, les femmes sous hypnose gardaient un meilleur souvenir de leur accouchement que les autres. Cela suggère que l’hypnose ne modifie pas la sensation de la douleur mais plutôt le vécu des patientes. Là, on voit bien une des clés importantes dans l’évaluation des thérapies non conventionnelles qui est de poser la bonne question et d’utiliser les bons critères !

Avons-nous aujourd’hui les outils pour évaluer correctement ces thérapies non conventionnelles ?
B. F. : Je pense que oui, mais ils sont mal ou peu utilisés. Actuellement, l’essai clinique randomisé en double aveugle* est considéré comme la meilleure méthode pour évaluer l’efficacité d’une thérapie quelle qu’elle soit. Certes c’est un outil très utile, mais il est surtout adapté aux médicaments, qui sont un soin en partie « industrialisé ». Pour évaluer les soins non médicamenteux correctement, il faut d’abord les décrire précisément, or pour beaucoup d’entre eux c’est assez difficile car il n’y a pas de consensus clair. Ensuite, il faut mener des études qualitatives et pas seulement quantitatives : il existe des méthodologies sérieuses pour cela, qui interrogent notamment les patients sur leur ressenti. Ces études qualitatives, encore peu utilisées, doivent aussi s’appliquer à la médecine moderne. Troisièmement, il faut mettre au point des protocoles permettant de comparer toutes les thérapies entre elles, ”classiques” et non conventionnelles, et éventuellement les confronter à l’effet placebo. Dernier point, et non des moindres, ne pas oublier d’évaluer leurs éventuels effets secondaires. Toute thérapie comporte des risques.

Cette évolution des méthodes d’évaluation peut-elle aussi profiter à la médecine ”classique“ ?
B. F. : Sans aucun doute ! La recherche médicale moderne a conduit à des progrès considérables, il ne faut pas le négliger. Mais le revers de la médaille, c’est aussi une certaine mécanisation du corps : on s’intéresse désormais plus aux organes et aux symptômes, qu’au patient dans son ensemble, c’est d’autant plus vrai quand les chercheurs sont éloignés du terrain, loin des malades. Si la cancérologie est une discipline où l’utilisation des thérapies non conventionnelles se pose beaucoup, c’est probablement parce que dans les centres de lutte contre le cancer (CLCC), médecins et chercheurs se côtoient. La recherche médicale dans son ensemble devrait s’en inspirer.

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