Recherche & Santé n°143 – La revue de la Fondation pour la Recherche Médicale – juillet 2015 /
Les nanomédicaments
Transporter un médicament dans l’organisme et l’amener jusqu’à une cible précise, tels sont les défis de la nanomédecine. Il y a dix ans sont apparus les premiers nanomédicaments contre le cancer. La multiplication des projets de recherche devrait bientôt offrir de nouvelles perspectives.
Réalisé avec la collaboration de Patrick Couvreur, spécialiste de nanomédecine, Professeur à l’Université Paris-Sud, membre de l’Académie des sciences.
1/ Qu’est ce qu’un nanomédicament ?
« Un nanomédicament, c’est une molécule thérapeutique contenue dans une particule mesurant entre quelques dizaines et quelques centaines de nanomètres*. Cette nanoparticule sert en quelque sorte de vecteur », explique Patrick Couvreur, éminent spécialiste de nanomédecine. L’avantage d’un nanomédicament, c’est qu’il a une action plus précise et donc, a priori, moins d’effets secondaires qu’un médicament classique : la nanoparticule permet en effet de protéger la molécule contre une dégradation par l’organisme et de cibler un site d’action, par des mécanismes passifs ou actifs. Par exemple, « à la surface de la nanoparticule, on peut fixer des molécules qui vont lui mettre de se lier uniquement avec certaines cellules à la manière dont une clé et une serrure interagissent », décrit Patrick Couvreur.
2/ Plusieurs générations de nanomédicaments
La 1ère génération de nanomédicaments reposent sur l’utilisation de liposomes* ou de nanoparticules qui, après injection intraveineuse, sont identifiés par l’organisme comme des corps étrangers. En réaction, l’organisme les recouvre par des protéines caractéristiques du non-soi (opsonines). En conséquence, ces nanomédicaments sont captés par le foie. L’avantage, c’est qu’il s‘agit d’une voie d’accès privilégiée pour y amener des médicaments et donc traiter des maladies du foie !
Une 2ème génération de nanomédicaments utilise des polymères hydrophiles fixés à la surface des nanoparticules. Conséquence : ils sont donc moins reconnus comme étrangers par l’organisme et ils circulent donc plus longtemps dans la circulation générale, on dit qu’ils sont « furtifs » car non reconnus par le foie. Or, « les nouveaux vaisseaux sanguins formés par une tumeur cancéreuse sont plus poreux que des vaisseaux normaux. Cela permet à ces nanomédicaments de pénétrer plus facilement jusqu’aux cellules malades. Et comme ils sont aussi plus gros qu’une simple molécule, les nanomédicaments sont aussi retenus plus longtemps au sein de la tumeur, ce qui prolonge leur action. Cette double particularité s’appelle l’effet EPR, pour Enhanced Permeability and Retention (Perméabilité Renforcée et Rétention, ndlr). Il permet un ciblage passif des cellules cancéreuses », précise Patrick Couvreur.
Quant aux nanomédicaments de 3ème génération, actuellement en développement, ils sont recouverts de molécules de reconnaissance permettant cette fois un ciblage actif : en fonction des molécules à leur surface, ils reconnaissant par exemple des cellules cancéreuses ou un agent infectieux, selon le mécanisme « clé-serrure », et y délivrent leur principe actif.
3/ Nanomédicaments et cancers
Une dizaine de nano-médicaments est déjà sur le marché, dont la plupart sont utilisés en cancérologie. C’est le cas du Doxil®, constitué de liposomes contenant de la doxorubicine, une molécule de chimiothérapie, et qui est utilisé dans le traitement de certains cancers du sang ou de l’ovaire, et l’Abraxane®, une autre chimiothérapie couplée à des nanoparticules composée d’albumine, contre les cancers du sein, du poumon et du pancréas. « Actuellement, un essai clinique de phase 3 est en cours avec des nanoparticules biodégradables développées par mon équipe. Ces nanoparticules encapsulent de la doxorubicine visent à traiter l’hépatocarcinome (cancer primitif du foie), raconte Patrick Couvreur. Les résultats de la phase 2 ont montré un taux de survie des malades à 18 mois multiplié par presque deux par rapport au traitement standard. »
D’autres équipes de recherche travaillent à la mise au point de nanoparticules magnétiques, capables de se lier spécifiquement à certaines cellules cancéreuses. Leur objectif : une fois ces nanomédicaments fixés dans la tumeur, l’application d’un champ magnétique par voie externe les stimulent, ce qui crée localement une augmentation de température capable de détruire les cellules cancéreuses.
4/ Perspectives de développement
Beaucoup de chercheurs s’intéressent aux nanomédicaments, et ce dans des disciplines aussi diverses que les infections ou les maladies cardiovasculaires. Les travaux sont aussi nombreux dans la mise au point de nouveaux types de nanoparticules. « Les techniques actuelles ont un taux d’encapsulation assez faible, et il faut beaucoup de matériel vecteur (qui constitue les nanoparticules) pour finalement n’encapsuler qu’assez peu de molécules actives, explique Patrick Couvreur. Nous travaillons sur de nouvelles méthodes, plus efficaces, basées cette fois sur l’établissement de liaisons chimiques entre le médicament lui-même et les molécules du matériau formant la nanoparticule. Le but est de rompre ces liaisons et de libérer le médicament dans des conditions spécifiques, par exemple en présence d’une enzyme, ou d’une diminution de pH, ce qui permettrait de cibler précisément le lieu de l’action thérapeutique. »
*nanomètre : 1 nm mesure 10-9 mètre, soit un milliardième de mètre, ou un millionième de millimètre.
*liposomes : petites vésicules dont la membrane est constituée par une double couche de lipides.