Article paru dans Recherche & Santé n°167 3ème trimestre 2021 – La revue de la Fondation pour la Recherche Médicale /
De plus en plus d’études s’intéressent à l’impact des réseaux sociaux sur la santé mentale, et principalement celle des adolescents. En septembre 2019, une publication de chercheurs britanniques dans The Lancet Child and Adolescent Health montrait une fois de plus que les filles sont plus particulièrement sensibles aux risques liés aux réseaux sociaux, notamment via le harcèlement. Il convient cependant de distinguer les risques réels et l’effet révélateur que peuvent avoir ces plateformes numériques.
Points de vue de deux experts sur cette question.
OUI, MAIS…
Michael Stora
Psychologue et psychanalyste, fondateur en 2000 de l’Observatoire des Mondes Numériques en Sciences Humaines (OMNSH), spécialiste notamment de la cyberaddiction.
Il est important de ne pas considérer tous les réseaux sociaux sur le même plan. Ils répondent à des usages différents. Certaines applications, comme TikTok par exemple (application de partages de vidéos, musicales le plus souvent, NDLR) sont très créatives, et permettent aux utilisateurs d’exprimer et de partager des émotions négatives comme positives. Cela peut être très utile, surtout à la période de l’adolescence où la créativité est essentielle. Mais d’autres réseaux, comme Instagram notamment (application de partages de photos, et notamment d’autoportraits appelés selfies, NDLR) sont une chambre d’amplification d’un idéal tyrannique. Depuis 20 à 30 ans, on assiste à une narcissisation de notre société. Or cela peut être particulièrement délétère durant l’adolescence, qui est une période de fragilité narcissique. Certains réseaux participent à créer une image numérique fictive qui doit correspondre à un nouvel idéal sociétal et culturel de beauté. On observe ainsi que l’image n’a plus un statut d’apparence mais un enjeu existentiel. De sorte qu’aujourd’hui les 18-35 ans sont ceux qui font désormais le plus appel à la médecine et la chirurgie esthétiques.
Par ailleurs, il y a la culture du « like » sur les réseaux sociaux : on est dans l’attente de l’assentiment des autres utilisateurs. Cela renforce le risque de dépendance aux réseaux sociaux et agit comme un renforcement négatif : si vous n’avez pas assez de « likes », cela augment le risque de détresse narcissique.
NON
Olivier Duris
Psychologue clinicien, à l’hôpital de Jour du Centre André Boulloche (Paris) et dans l’Unité d’Accompagnement de l’association PREAUT, spécialiste notamment du rapport aux écrans des enfants et adolescents.
Il est très important de comprendre que les réseaux sociaux ne créent pas en eux mêmes des troubles mentaux. D’ailleurs aujourd’hui ils n’entrent pas dans les critères internationaux de définitions des troubles mentaux et psychiatriques, alors que les jeux vidéos, oui. Par contre, certaines applications peuvent exacerber ou rendre visibles ce qui existe déjà comme par exemple la solitude ou la mésestime de soi. Elles peuvent ainsi créer une sorte de cercle vicieux.
Dans ma pratique clinique quotidienne auprès d’enfants et d’adolescents, les réseaux sociaux ne sont jamais la cause principale de leurs souffrances, ils sont parfois abordés, mais de façon très secondaire. Avec notamment ce que l’on appelle le FOMO pour « fear of missing something », c’est à dire cette crainte de rater une information importante ou quelque chose donnant une occasion d’interagir socialement.
Il est très important de ne pas généraliser : chaque réseau social est différent, et chaque personne en fait un usage qui lui est propre. D’ailleurs, les réseaux sociaux servent avant tout aux adolescents à communiquer entre eux, à échanger, à sociabiliser encore plus avec leur groupe d’amis. Ils peuvent aussi les aider à sortir de leur solitude, et à rencontre une nouvelle forme d’écoute par rapport à celle qui existe dans leur environnement. Il ne faut pas diaboliser en bloc les réseaux sociaux mais plutôt aider nos enfants à grandir avec et à les appréhender aux âges justes.