Cheval Magazine n°389 rubrique Protection – avril 2004
La domestication du cheval remonterait entre 5000 ans et 3500 av. J.C. Un seul troupeau domestiqué a t’il donné naissance aux chevaux modernes ? Ou bien la domestication a t’elle eu lieu en plusieurs endroits grâce à la transmission du savoir entre les êtres humains ? Si de récentes études génétiques ont relancé le débat chez les historiens, faute de preuves évidentes, on s’interroge encore.
Il y a environ 12000 ans, l’homme a commencé par apprivoiser le chien, plus tard le mouton, la chèvre et le porc. Arrivé bien après, le cheval occupe pourtant une place de choix auprès de l’homme : Selon Sandor Bököny, spécialiste hongrois de l’histoire des animaux domestiques, le cheval « a révolutionné les modes de transport et donc le commerce. Il a eu aussi une forte influence sur la conduite des guerres et sur les périodes de grandes migrations ». Depuis longtemps les archéologues recherchent les traces de la première domestication du cheval. Mais les preuves sont rares, et les opinions divergent. Grâce à la génétique, les spécialistes de l’évolution traquent désormais l’origine du cheval moderne.
Premières traces en Ukraine
L’homme préhistorique a d’abord chassé le cheval sauvage pour sa viande. Puis il aurait « capturé des troupeaux pour les maintenir en captivité comme réserve de viande sur pied », raconte Jean-Pierre Digard, spécialiste de l’histoire des relations entre l’homme et l’animal. Mais si le cheval a été domestiqué, c’est plus sûrement pour être utilisé comme bête de somme. Les plus anciennes preuves dont on dispose ont été trouvées dans le sud de l’Ukraine, sur le site de Deveikna. En 1985, l’archéologue Dimitri Telegin a mis à jour une fosse contenant de nombreux ossements équins datant de 3400 à 4500 ans av. J.C. Selon l’âge et le sexe de ces restes, il en a déduit qu’il s’agissait d’individus choisis dans un élevage et non pas tués au hasard lors d’une chasse. Au même endroit, il a aussi découvert six pièces taillées dans du bois de cerf qui ressemblent beaucoup à des mors. Cerise sur le gâteau : la mâchoire inférieure d’un grand étalon trouvée dans la fosse présente des traces d’usure similaire à celle causé par un mors.
L’Ukraine, berceau de la domestication du cheval ? Certains spécialistes doutent encore, comme la paléontologue française Véra Eisenmann. Elle explique que les chevaux sauvages comme le cheval de Przewalski ou le tarpan ont des phalanges assez courtes. Or les animaux retrouvés à Deveikna présentent des phalanges longues comme nos chevaux actuels. Comme d’autres archéologues, elle pense donc que le cheval avait déjà été domestiqué auparavant, peut-être en Europe orientale, au sud de la mer Caspienne ou du côté de l’Espagne.
Sur la piste de l’ADN
Cette hypothèse d’une origine multiple de notre cheval moderne est soutenue par de récentes études génétiques. Les chercheurs se basent sur l’ADN mitochondrial (ADNm) car il se transmet uniquement entre les mères et leur descendance (voir p.80 Cheval Mag n°385). Quand des variations apparaissent sur cet ADN, elles ne sont donc pas dues au brassage entre individus mais à des mutations spontanées. Comme les chercheurs sont capables de calculer à quelle vitesse surviennent ces mutations, l’ADNm leur sert d’“horloge“ de l’évolution. Il y a trois ans, une équipe américano-suédoise a analysé l’ADNm de 191 chevaux domestiques de dix races différentes dont des Przewalski, en comparaison avec l’ADNm de chevaux datant de 12000 à 28000 ans retrouvés dans le sol congelé de l’Alaska. Résultat : seule une domestication à plusieurs reprises et sur des chevaux d’origine différente peut expliquer la diversité de l’ADNm de nos chevaux modernes. En revanche, on trouve une très faible diversité chez les Przewalski actuels car ceux-ci descendent tous de 13 individus capturés à la fin du 19è siècle. Poussant plus loin, les allemands Thomas Jansen et Klaus Olek ont quant à eux analysé l’ADNm de 318 chevaux modernes, originaires d’Europe, du Moyen-Orient et même d’Amérique, qu’ils ont comparé à 334 chevaux “anciens“. Leur conclusion est sans appel : « Au moins 77 juments reproductrices ont été prélevées dans le milieu naturel. La diversité de ces juments indique que plusieurs troupeaux sauvages distincts ont été impliqués dans cette domestication »…/…