Cancérologie : quand la recherche se penche sur l’humain

Journal de l’Institut Curie n°107 septembre 2016 / Dossier sur les recherches en Sciences Humaines et Sociales /

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Psychologique, économique, social… Les retentissements d’un cancer sur la vie des patients, et sur la société en général, ne sont pas seulement d’ordre médical. C’est justement ce qu’étudient les sciences sociales et humaines. Depuis quelques années, le cancer est en effet devenu un sujet de recherche à part entière pour ces disciplines. Et pour que les résultats de ces recherches bénéficient au plus grand nombre, la pluridisciplinarité est essentielle.

 

Grâce aux progrès scientifiques, on guérit aujourd’hui plus d’un cancer sur deux, et ce chiffre devrait atteindre deux cas sur trois en 2020. Mais ces victoires médicales ne doivent pas faire oublier les blessures psychologiques et les difficultés sociales que rencontrent les malades. Les associations de patients sont là pour le rappeler régulièrement. Toutes ces questions qui dépassent la dimension « biologique » du cancer sont l’objet même des sciences humaines et sociales (SHS) : de l’économie à l’éthique, en passant par exemple par la sociologie ou la psychologie, ces disciplines sont de plus en plus nombreuses à s’intéresser précisément au cancer. « Dès sa création en 2005, l’Institut National du Cancer (INCa) a décidé de soutenir les recherches dans ces disciplines, déclare Hermann Nabi, responsable du département Recherche en sciences humaines et sociales, épidémiologie et santé publique à l’INCa. Chaque année à travers un appel à projets, nous consacrons environ 1,5 million d’euros pour soutenir une douzaine de projets de recherche en SHS. Cette somme peut paraître faible, mais en réalité c’est un budget conséquent : les recherche en SHS coûtent relativement moins cher qu’un essai clinique ou même une étude en épidémiologie ! »

Encourager la recherche

L’objectif de l’Inca est d’encourager de plus en plus de chercheurs en SHS à s’intéresser au cancer : « que ce soit dans l’accès aux soins, le coût des nouveaux médicaments ou les enjeux éthiques, sociaux et juridiques liés au développement de la médecine de précision, les sujets de recherche sont très nombreux ! », souligne Hermann Nabi. Pour consolider son engagement, l’INCa vient d’ailleurs de lancer un appel à candidatures pour créer une chaire de recherche et enseignement en SHS appliquées au cancer, une première en France : « l’objectif est de favoriser une recherche pluridisciplinaire, en créant des ponts entre les SHS et les recherches biomédicales, afin que les résultats obtenus soient transférés dans la pratique quotidienne des soignants. » En plus de son projet de recherche qu’il pourra mener au sein du département SHS de l’Université de Lille 3 en collaboration avec le Site de Recherche Intégré sur le Cancer (SIRIC) de Lille (OnCoLille), le titulaire de cette chaire animera des séminaires et formera des étudiants. Il contribuera ainsi à la transmission et à la diffusion des connaissances et des innovations en cancérologie au bénéfice des patients et leurs proches. « Les sciences sociales et humaines ont un passé important et de grande qualité en France. Ce qui est nouveau et que nous souhaitons favoriser, c’est qu’elles s’intéressent de façon spécifique au cancer », résume Hermann Nabi.

Éthique des soins et réflexion pluridisciplinaire

Une analyse que partage Jean-Claude K. Dupont, philosophe et éthicien spécialisé en recherche clinique, directeur adjoint de la Chaire Hospinnomics (AP-HP et école d’économie de Paris) : « la notion d’éthique dans la recherche médicale n’est pas nouvelle, mais désormais elle se doit d’accompagner les progrès scientifiques réalisés dans le domaine de la lutte contre le cancer. Avec le développement de nouveaux médicaments se pose par exemple des questions de justice quant à l’accès aux soins. La multiplication des essais cliniques soulève quant à elle des interrogations éthiques importantes quant à l’information des patients, et le recueil du consentement. C’est d’autant plus crucial quand il s’agit d’enfants, où le consentement est délivré par les parents. » C’est sur ce point qu’a récemment travaillé l’éthicien, en collaboration avec deux spécialistes de l’oncopédiatrie, le Pr François Doz de l’Institut Curie et Kathy Pritchard Jones de l’University College de Londres. « En analysant plus de 400 publications scientifiques sur les essais cliniques, notamment en oncopédiatrie, nous avons identifié 43 enjeux éthiques. Il y a par exemple l’importance de la communication entre les chercheurs et les familles, ce qui n’est pas étonnant. Nous avons aussi identifié un consensus très fort parmi les chercheurs autour du jeune adulte : si un adolescent de 16 à 18 ans refuse d’entrer dans un essai clinique, sa parole doit être entendue et acceptée. Enfin nous avons aussi constaté un manque de connaissance sur le fonctionnement des comités d’éthiques qui valident ou pas les protocoles d’essai clinique. Cliniciens et éthiciens sont deux communautés qui se connaissent assez peu finalement, il faut donc travailler à renforcer ces liens », résume J.-C. K. Dupont.

En d’autres mots, la pluridisciplinarité s’impose : « les éthiciens ne travaillent pas seuls, il nous faut mener une réflexion collective avec les soignants, les malades, et les autres disciplines de SHS ! Prenons l’exemple d’un nouveau médicament qui prolongerait la vie des malades d’un an, mais avec une qualité de vie dégradée et pour un coût important. Répondre aux questions éthiques posées par un tel médicament nécessite une réflexion collective. »

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