Du liquide dans les poumons pour refroidir le corps

Recherche & Santé n°146 – La revue de la Fondation pour la Recherche Médicale – avril 2016

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Refroidir l’organisme permet de protéger certains organes vitaux lorsqu’ils viennent à manquer de sang, après un arrêt cardiaque par exemple. Or plus on agit vite et plus c’est efficace. Pour refroidir rapidement le corps, des chercheurs de l’Inserm et de l’École Nationale vétérinaire d’Alfort ont eu l’idée d’introduire un liquide dans les poumons, et ont mis au point pour cela une technologie unique en son genre permettant une « respiration liquidienne totale ».

CHIFFRES : 3 à 6 heures sont nécessaires actuellement pour abaisser la température corporelle d’un être humain à 32°C. Grâce à la respiration liquidienne totale, cela devrait prendre moins de 30 minutes.

Pourquoi refroidir le corps ?

Quand des organes manquent de sang, par exemple après un accident cardiovasculaire (AVC, infarctus, arrêt cardiaque…), ils souffrent. Or refroidir l’organisme permet de les protéger : cela diminue leur besoin en oxygène et réduit les risques d’inflammation et de mauvaise « reperfusion » des tissus. La méthode actuelle, qui utilise des couvertures rafraichissantes, permet d’atteindre une température corporelle de 32°C en 3 à 6 heures. Malheureusement les bénéfices à long terme sont minimes. Probablement parce que le refroidissement n’est pas assez rapide, et ne protège donc pas efficacement les organes contre le syndrome d’ischémie-reperfusion, c’est-à-dire d’arrêt puis reprise brutales de l’apport en oxygène.

Pourquoi remplir les poumons avec du liquide ?

Depuis 20 ans, des équipes de recherche travaillent sur la respiration liquidienne. Les objectifs étant par exemple de traiter les malades en souffrance respiratoire, ou, même si cela s’est finalement révélé impossible, de permettre aux poumons des plongeurs de résister aux fortes pressions qui s’exercent en profondeur. Pour cela, ils ont mis au point un liquide, le perfluorocarbone (PFC), qui permet les échanges gazeux. Mais des études ont montré que cette approche avait pour effet collatéral de refroidir rapidement l’organisme : les poumons constituent en effet un échangeur thermique* idéal ! C’est justement ce phénomène qui intéresse depuis une dizaine d’années Renaud Tissier et ses collègues chercheurs à l’Inserm (IMRB) et l’École Nationale Vétérinaire d’Alfort.

Pourquoi utiliser une machine (le ventilateur) ?

Mettre en mouvement un liquide dans les poumons demande beaucoup d’efforts musculaires, même si le PFC a des propriétés mécaniques lui permettant de « glisser » facilement. Et pour un patient anesthésié, c’est tout simplement impossible. D’où la nécessité d’une machine, un « ventilateur liquidien », pour mettre en mouvement ce PFC. Cela fait 7 ans que les chercheurs français travaillent à sa mise au point avec des ingénieurs en acoustique de l’Université de Sherbrooke (Canada). Ce ventilateur liquidien est unique au monde car il permet de contrôler en continu et très précisément la pression et le volume de PFC introduit dans les poumons, et donc de ne pas les blesser, et bien sûr la température de l’organisme.

Est-ce efficace pour protéger l’organisme après un arrêt cardiaque ?

Testé sur des petits animaux de laboratoire, et des modèles plus importants comme le porc, le ventilateur liquidien mis au point par Renaud Tissier et ses collègues a fonctionné parfaitement. Il permet par exemple de refroidir le corps d’un petit animal à 32°C en un quart d’heure à peine. « Nous avons réussi à augmenter le taux de survie après un arrêt cardiaque de 10 à 70 %, précise le chercheur. Par ailleurs, nous avons observé moins de dégâts au niveau des fonctions cérébrales, cardiaques et rénales qu’avec la technique classique de refroidissement corporel. »

À quand des essais cliniques chez l’être humain ?

Avant de passer aux tests chez l’Homme, les chercheurs doivent mettre aux normes leur machine, c’est-à-dire avant tout s’assurer qu’elle soit parfaitement sécurisée. « Pour cela, nous estimons que 4 millions d’euros au moins sont nécessaires, et 3 à 4 ans de travail, précise Renaud Tissier. Ensuite, nous aurons à répondre à beaucoup de questions : notamment déterminer le meilleur moment pour refroidir le corps aussi rapidement qu’avec notre technologie, en fonction de chaque situation médicale ? » Ce qui est sûr en tout cas, c’est qu’ils seront alors les premiers à tester un ventilateur liquidien total chez l’être humain.

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