Dossier paru dans Repères n°34, le magazine de l’IRSN , juillet 2017 /
La radioactivité dans l’air est surveillée en permanence afin de garantir la sécurité de la population. Deux réseaux de mesures coexistent : OpéraAir et Téléray. L’objectif est de détecter des niveaux anormaux de rayonnement, d’identifier des radionucléides d’origine artificielle et d’en comprendre l’origine.
En janvier dernier un évènement rare est survenu dans l’atmosphère européen. Des traces d’iode-131, un radionucléide d’origine artificielle, ont été détectées dans plusieurs pays. En France, c’est l’IRSN qui a tiré le signal d’alarme à la mi-février. Trois stations d’OperaAir, l’un de ses réseaux de surveillance, ont en effet décelé de l’iode-131 dans leurs filtres à air entre le 18 et le 26 janvier. Les teneurs mesurées étaient infimes, de l’ordre de quelques dixièmes de microbecquerels par mètre cube d’air (µBq/m3). Des mesures corroborées par le réseau européen d’experts Ring of Five, dont fait partie l’IRSN (voir « Repères » n°25, page 6, 7 et 8). Il a signalé des évènements similaires en Allemagne, Autriche, Espagne, Finlande et Pologne.
Certes, ces quantités sont minimes et sans conséquences sanitaires : c’est mille fois moins que celles relevées dans notre pays après l’accident de Fukushima par exemple. Mais il est important de comprendre l’origine de cette contamination. Cela relève des missions de l’Institut. « En cas d’accident nucléaire, l’atmosphère est la première source d’exposition des populations. Il est donc indispensable de la surveiller, de comprendre comment se disséminent les radionucléides et d’identifier les sources de contamination », résume Jean-Christophe Gariel, directeur environnement du Pôle de radioprotection de l’IRSN.
D’où vient la radioactivité dans l’air ?
L’air que nous respirons est naturellement radioactif. Cela s’explique principalement par le radon, un gaz radioactif issu de certains sols contenant de l’uranium, et par le rayonnement cosmique en provenance du soleil et des proches galaxies. Cette radioactivité naturelle varie localement, selon la nature des sols, l’altitude, mais aussi en fonction de la météo, et principalement de la dispersion des particules par le vent. À ce bruit de fond permanent peut s’ajouter ponctuellement une radioactivité artificielle. Il peut s’agir par exemple de rejets autorisés d’installations nucléaires, de certaines activités de médecine nucléaire – examens radiologiques et traitements médicaux – ou bien d’incidents ayant lieu sur ce type d’installations. Dans notre hémisphère nord, cette radioactivité artificielle peut aussi provenir des rémanences de l’accident de Tchernobyl ou des essais nucléaires atmosphériques opérés avant 1980.
Revenons à janvier dernier. « Nous n’avons détecté que de l’iode-131, et aucun autre radionucléide artificiel. Nous en avons déduit que cette contamination ne pouvait venir que d’une usine de production de matériel médical », explique Damien Didier, ingénieur expert en modélisation au Pôle de radioprotection de l’IRSN. Un événement similaire avait déjà eu lieu en novembre 2011. A l’époque, l’IRSN avait aussi travaillé avec le réseau européen Ring of Five pour en déterminer l’origine. « Nous avons des outils de modélisation qui nous permettent de déterminer l’origine géographique d’un rejet, et d’estimer les quantités émises grâce aux différentes mesures effectuées en Europe et aux données météorologiques. Ensuite, en fonction des installations connues dans l’aire géographique déterminée, nous en déduisons quel est l’évènement qui a conduit à ce rejet. » En 2011, la fuite venait de l’Institut des Isotopes de Budapest (Hongrie), qui n’avait pas jugé utile de le signaler aux autorités nationales, car le rejet était en dessous du seuil autorisé. Concernant l’évènement de janvier dernier, l’origine n’a pas encore été déterminée, mais il est fort probable qu’une installation de production médicale en Europe en soit aussi à l’origine.
Modéliser pour comprendre et prévoir
Le réseau de surveillance OperaAir détecte de nombreux radionucléides différents. En octobre 2015, du césium-137 avait été identifié dans ses filtres à air, mais là encore dans des proportions sans risque pour la population et l’environnement. « Le césium-137 est forcément lié à du combustible nucléaire, et donc à des activités de production d’énergie, de stockage ou de traitement de déchets, précise Damien Didier. Compte tenu des simulations réalisées à partir des trajectoires et des données météo, nous pensons que deux évènements indépendants étaient en cause : un rejet d’un réacteur vraisemblablement situé en Finlande, et d’une remise en suspension dans l’atmosphère de césium-137 provenant de territoires fortement contaminés autour de Tchernobyl, probablement à cause de feux de forêts. »
Les outils de modélisation sont très importants pour comprendre et prévoir la dispersion des radionucléides dans l’atmosphère. (demander à la relecture de citer le nom d’un de ces outil)« Lorsque nous disposons de beaucoup de mesures et de données météo, nous pouvons prédire une contamination de l’air avec une bonne précision. Cela fut le cas en 1998 lorsqu’une usine d’Algeciras, en Espagne, avait rejeté accidentellement du césium-137, raconte Damien Didier. Pour améliorer nos modèles, nous travaillons en concertation avec les exploitants d’installation nucléaire. Nous effectuons des mesures sur le terrain à l’occasion de rejets qu’ils effectuent dans le cadre d’une autorisation réglementée. » Ces dernières années, les experts de l’IRSN ont réalisé des campagnes de mesure du krypton-85 à proximité du site de La Hague, en déployant une quinzaine de stations de prélèvement d’airdans différentes conditions météorologiques. Grâce à l’amélioration constante des outils de modélisation, ces mêmes experts ont prédit l’arrivée en France de la masse d’air contaminée suite à l’accident de Fukushima (voir encadré).
Téléray, un réseau d’alerte en temps réel
En parallèle du réseau OpéraAir, capable de détecter des quantités infimes de radionucléides dans l’air, l’IRSN dispose d’un autre réseau de surveillance, baptisé Téléray. Il mesure la radioactivité ambiante toutes origines confondues, en nanoSievert par heure (nSv/h). « Il s’agit d’un outil d’alerte en temps réel pour des événements d’une certaine ampleur », explique Christophe Debayle, du Pôle de radioprotection. Ainsi les conséquences de Fukushima, détectées en France par le réseau OpéraAir, ne l’ont pas été par Téléray, car les quantités de radioactivité artificielle étaient beaucoup trop faibles.
« Les balises sont réparties sur le territoire français et réalisent des mesures toutes les 10 minutes. Chaque fois qu’une valeur mesurée dépasse de 40 nSv/h la moyenne de référence pour une balise donnée, une alerte est envoyée à notre cellule de surveillance . Nous analysons aussitôt le contexte pour comprendre l’origine de l’alerte, et déterminer si elle est inquiétante. Dans la très grande majorité des cas, ces dépassements sont liés à une installation nucléaire, lorsque l’exploitant teste ses propres balises grâce à une source radioactive artificielle. Des alertes se produisent fréquemment pendant des orages, car la pluie rabat brutalement le radon présent dans l’air à proximité des balises au sol. »
À travers ses deux réseaux complémentaires, OpéraAir et Téléray, l’Institut est capable en temps réel de détecter une élévation anormale du rayonnement global, et par ailleurs de déceler des traces même minimes de radionucléides artificiels. Mesurer et surveiller, pour ensuite comprendre et informer les autorités et le public. L’objectif est en effet de garantir la sécurité sanitaire des populations et de l’environnement. « En dehors de tout évènement accidentel, le grand public se soucie peu de la radioactivité ambiante. Mais notre rôle est de la surveiller en permanence. Nous devons être en mesure d’alerter s’il se passe quoi que ce soit d’anormal, de réagir et d’en comprendre au plus vite les causes afin de prédire les éventuels risques », résume Jean-Christophe Gariel.
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