Une nécropole pour les chevaux

Article paru dans « Cheval Magazine » n°569 avril 2019 /

À Tsarskoye Selo, en Russie, se trouve un cimetière pour chevaux unique au monde. Il renferme plus d’une centaine de dépouilles d’anciennes montures impériales. Un site (re)découvert et sauvé de la destruction par l’écrivain français et homme de cheval Jean-Louis Gouraud. 

Nous sommes en Russie, au début du 19ème siècle. Le tsar Nicolas Pavlovitch Romanov, alias Nicolas Ier, est connu pour son autorité sanguinaire : on le surnomme Nicolas le Bastonneur ou l’empereur de Fer. Il réprime dans le sang de nombreuses révoltes aux quatre coins de son immense empire. Sans pitié pour les hommes, il fait pourtant preuve d’une extrême compassion pour les animaux, du moins pour ses compagnons à quatre jambes. C’est lui en effet qui a l’idée originale de créer une maison de retraite pour chevaux. En 1826, un mois seulement après avoir succédé à son défunt frère Alexandre Ier sur le trône de Russie, il décrète ainsi la construction d’écuries dans lesquelles les chevaux méritants pourront finir paisiblement leurs jours. Et cela sera à Tsarskoye Selo (littéralement le « bourg du tsar »), à 25 km au sud de Saint Petersbourg, là où la famille impériale a fait construire depuis plus d’un siècle de magnifiques palais pour y passer l’été. Dans son livre, Petite géographie amoureuse du cheval, paru aux éditions Belin, l’écrivain voyageur et célèbre homme de cheval français Jean-Louis Gouraud raconte que le tsar Nicolas Ier a pris cette décision alors que dans ses écuries s’ennuyait un vieux cheval nommé L’Ami. C’était la monture d’Alexandre Ier lorsque celui-ci, après avoir écrasé les armées napoléoniennes, était entré victorieux dans Paris en 1814. Offrir une belle retraite aux compagnons d’une vie peut nous paraître banal aujourd’hui, mais c’était tout à fait inattendu à l’époque !

Une pension 5 étoiles

Il est décidé d’installer la maison de retraite dans un coin du gigantesque parc Alexandre. La construction est confiée à Adam Menelas, un architecte d’origine écossaise. Cela explique pourquoi le bâtiment en briques rouges ressemble plus à un petit château du nord de l’Angleterre, avec sa haute tour qui fait penser à un donjon et ses murs crénelés, plutôt qu’à un palais russe ! Au départ, on prévoit 8 boxes, surmontés de salles où seront conservés les plus beaux harnachements des montures, et d’appartements pour le personnel. L’été, les occupants de cette pension 5 étoiles profitent des prairies aux alentours, et se baignent dans un vaste bassin qui recueille les eaux de pluie. Le tsar en personne vient régulièrement visiter les lieux, il inspecte notamment la qualité des fourrages, la température des écuries en hiver, et s’enquiert de l’état de santé de tous les pensionnaires. 

En 1831, deux ans après son arrivée à Tsarskoye Selo, L’Ami meurt paisiblement après 24 ans de bons et loyaux services. Sans détour, le tsar Nicolas Ier ordonne qu’il soit enterré là. « Ainsi naquit la tradition d’enterrer les chevaux ayant eu l’honneur de porter leurs majestés tsariennes », raconte Jean-Louis Gouraud. Une histoire qui sera d’ailleurs relatée quelques années plus tard, par la revue française Le Magasin Pittoresque, et le journaliste n’hésitera pas à surnommer le lieu l’ « hôtel impérial des chevaux invalides ». Les chevaux y sont si bien traités que certains vivent jusqu’à l’âge de 37 ans ! Plus tard, dans un article du New York Times, l’endroit est décrit comme l’une des plus grandes curiosités de la ville de Tsarskoye Selo, plus encore que les immenses palais qui ont été créés pour rivaliser avec le Château de Versailles. 

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