CIRALE : le cheval transparent

Hors série Sciences & Avenir –  avril 2012

 

Au cœur de la Normandie, un site exceptionnel rassemble les techniques d’imagerie médicale les plus modernes au service des chevaux. Le moindre aspect de leur squelette est minutieusement étudié par des vétérinaires afin de comprendre pourquoi ils ont mal ou connaissent des baisses de performances. Visite du CIRALE, une véritable clinique du sport pour les athlètes à crinière !

Lire l’article en pdf, avec le reportage photo de Cyril Entzmann

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Petit matin normand à Goustranville, des sabots résonnent sur l’asphalte entre vertes prairies et écuries ultra modernes. Ce que ne savent pas ces chevaux, c’est qu’ils pénètrent dans un endroit unique au monde : le Centre d’Imagerie et de Recherche sur les Affections Locomotrices Equines (CIRALE). Là, ils vont passer devant l’œil expert et surtout les machines ultra sophistiquées de vétérinaires qui vont tout mettre en œuvre pour comprendre l’origine de leur douleur, d’une baisse de performance, ou tout simplement dresser un bilan le plus précis possible de leur squelette.

Parce qu’ils le valent bien

Le premier à se présenter devant l’équipe du Pr Jean-Marie Denoix, directeur du CIRALE, est un jeune cheval de dressage, plusieurs fois champion de France. Sa propriétaire hésite à le vendre, à cause d’une boiterie intermittente. Après une exposition méticuleuse de son cas par un interne, il est emmené dehors où il va être observé par le vétérinaire entouré de ses étudiantes. La scène ressemble à celle d’une série télé médicale, sauf qu’ici les patients ont quatre jambes, et elles valent de l’or ! Chez le cheval, les performances sur les hippodromes ou les terrains de compétition dépendent pour beaucoup de sa locomotion. Qu’on détecte un peu d’arthrose et son prix de vente risque de s’effondrer ! Les enjeux financiers peuvent être considérables : les gains en compétition et prix de vente se chiffrent en centaines de milliers d’euros voire en millions pour les meilleurs d’entre eux.

« Bien regarder le cheval est indispensable, c’est seulement après un bon examen clinique que l’imagerie a tout son intérêt », insiste le Pr Denoix. Sur une piste circulaire au revêtement ferme, en ligne droite sur du bitume puis en longe dans un manège au sol souple, les mouvements de l’animal sont observés, analysés. « La consistance du sol a une influence importante. Certains problèmes n’apparaissent que sur sol dur, d’autres uniquement lorsque le cheval a travaillé un certain temps », précise le spécialiste. Tout est enregistré en vidéo et viendra compléter le dossier du patient. D’une main experte, le Pr Denoix palpe les membres à la recherche d’une chaleur anormale ou une hypersensibilité. Les progrès de la médecine ne remplacent pas l’œil et la main d’un vétérinaire d’expérience ! Le cheval reste calme, rassuré par les caresses et la voix douce d’une assistante. Il ne se doute pas de ce qui se trame autour de lui.

Voir à l’intérieur

Le patient pénètre ensuite dans un bâtiment haut de gamme, où tout est prévu pour que les chevaux soient accueillis et que les vétérinaires travaillent dans les meilleures conditions. L’atmosphère est lumineuse et studieuse, l’hygiène impeccable, nulle trace de crottin par terre ! Pour comprendre pourquoi ce jeune champion boite, ses membres vont être radiographiés. Ici l’appareil est numérique : quelques secondes après avoir été pris, les clichés apparaissent sur l’ordinateur. Le praticien fait alors varier le contraste, zoome dans l’image afin de montrer à ses élèves un éventuel début d’arthrose ou une microfracture. Une image est difficile à lire ? Le cliché est aussitôt refait, et le Pr Denoix en profite pour expliquer à l’une de ses étudiantes comment placer au mieux la source de rayons X. Puis vient le temps de l’échographie, un examen qui permet surtout de voir les tendons et les ligaments. Pour examiner la région lombaire du cheval, le vétérinaire n’hésite pas à plonger la sonde à bout de bras dans le rectum du cheval ! De l’autre main, il mime son geste sur un squelette de bassin, afin que ses jeunes apprenties visualisent les mouvements qu’il effectue.

Autour du Pr Denoix, tous les étudiants sont des étudiantes, qui plus est des passionnées de cheval. La profession connaît une féminisation fulgurante, reflet du monde de l’équitation où les trois quarts des cavaliers sont des femmes ! Par la suite, il prendra le temps de montrer ces images à la propriétaire du cheval, lui expliquant longuement son diagnostic et prodiguant même des conseils quant à l’entraînement et la ferrure à choisir, dressant si nécessaire une ordonnance pour des soins.

Un lieu d’excellence

La réputation du CIRALE n’est plus à faire, 10 % de ses patients viennent même de l’étranger. Ce centre est né de la volonté du Conseil Régional de Basse-Normandie, région où se concentre un très grand nombre d’élevages de chevaux de course et de sport. Il a financé la construction de bâtiments hautement fonctionnels et l’achat des équipements d’imagerie : radiographie numérique, échographie, imagerie par résonance magnétique (IRM) et même scintigraphie. Les praticiens sont rattachés à l’École Nationale Vétérinaire d’Alfort. D’où la triple mission du centre : diagnostic, enseignement et recherche. Chaque année, quelques 1300 chevaux sont adressés là par leurs vétérinaires qui souhaitent améliorer leur diagnostic.

Les seuls actes thérapeutiques pratiqués au CIRALE sont les infiltrations échoguidées à la demande du vétérinaire. Ce matin c’est une ponette grise qui fait de l’attelage qui vient recevoir ces soins. Elle est bien connue du Pr Denoix qui remarque même qu’elle a maigrit depuis sa dernière visite. Il ne manque pas d’en féliciter sa propriétaire ! Le poids est en effet un facteur de risque pour l’appareil locomoteur du cheval. « Lorsque des médicaments par voie générale ou la mésothérapie ne suffisent pas pour soulager une douleur, on injecte un anti inflammatoire directement dans ou autour de l’articulation douloureuse », décrit l’expert. Pour être le plus précis possible, et ne pas risquer de léser des tissus avoisinants, notamment la moelle épinière lorsqu’il s’agit de traiter des vertèbres, l’échographie permet de guider le trajet de l’aiguille. Alors que le Pr Denoix tient la sonde d’échographie au dessus du bassin de la ponette, c’est le Dr Anne-Laure Emond qui introduit la grande aiguille en s’aidant des images fournies par l’échographie. Dans la salle de radiographie juste à côté, un cheval hennit. Il attend patiemment son tour. Toute la journée, les vétérinaires vont passer de salle en salle, enchainant consultations et examens au pas de course.

Des techniques de pointe

« Avec l’âge, les tendons et les articulations des chevaux de sport peuvent s’abîmer et devenir douloureux, décrit le Pr Denoix. Lorsque les lésions ne sont pas manifestes, il est parfois nécessaire de pousser plus loin l’investigation. » C’est le cas cet après-midi pour un grand alezan qui fait des concours de saut d’obstacles depuis une dizaine d’années mais connaît depuis quelque temps une baisse de performance inexpliquée. Entrent en scène l’IRM et la scintigraphie, techniques de pointe autrefois réservées à l’homme et dont bénéficient environ 10 % des patients du CIRALE. Dans les deux cas, il est indispensable que le cheval soit parfaitement immobile. Il y a quelques années ces examens nécessitaient ainsi une anesthésie générale, un geste très risqué chez le cheval. Mais récemment des équipements spécifiques ont été développés afin de pouvoir faire des examens de l’animal debout. C’est très rare en médecine vétérinaire, habituée à travailler avec du matériel conçu pour les humains. Le CIRALE a été le premier à s’en doter en France en 2009 et a été rejoint depuis par trois autres cliniques équines. Il suffit désormais d’un peu de sédatif pour que le cheval reste impassible. L’IRM permet de visualiser les os et les tissus mous en coupe et déceler des lésions invisibles à la radio.

Pour l’athlète alezan, un bilan complet par scintigraphie est prévu. Ce matin il a reçu une injection de produit faiblement radioactif, après avoir travaillé pendant une heure. « Quand les muscles sont chauds, le produit se diffuse mieux dans la circulation sanguine. Ce qui nous intéresse c’est le squelette, il faut attendre environ trois heures que le produit se fixe sur les os », explique le Pr Fabrice Audigié, spécialiste de la scintigraphie. Le cheval est mis sous sédatif, afin qu’il reste impassible pendant l’examen, « mais pas trop sinon il ne tient plus sur ses jambes ! » On place une couverture plombée sur son dos pour protéger les vétérinaires des radiations qu’il émet. Les consignes de sécurité sont respectées à la lettre dans la cabine d’examen. Durant plus d’une heure, la caméra gamma va être déplacée à divers endroits du corps de l’animal pour enregistrer les rayonnements émis par les os. « Chez un cheval de sport, il est fréquent d’observer plusieurs points chauds. Pour savoir ce qui pose réellement problème, il faut confronter ces informations aux données cliniques, aux radios et échographies », précise le Pr Audigié. Ensuite, le cheval restera 48 heures au centre, le temps que son taux de radioactivité décroisse et que le produit s’évacue avec l’urine. Celle-ci est d’ailleurs récupérée dans une cuve spécifique, on ne badine pas avec ce genre de déchet !

Un centre dédié au cheval et à la recherche

Seuls trois centres en France sont habilités à faire des scintigraphies équines. Le CIRALE a été le premier, en 2001. La scintigraphie est un examen qui demande du temps et utilise un marqueur radioactif très particulier, elle coûte donc cher, environ 1300 €. Quant à l’IRM, le prix avoisine les 900 €. Pour un bilan standard, comprenant un examen clinique, des radios et échographies ciblées, il faut compter entre 500 et 900 euros pour une demi journée de consultation. Même si le CIRALE n’est pas réservé qu’aux chevaux de sport ou de course, le coût des examens est évidemment un facteur limitant.

Le CIRALE doit son excellence à plusieurs atouts. Ici les examens sont réalisés par des vétérinaires spécialistes du cheval et de sa locomotion. En général, une journée suffit pour poser un diagnostic grâce à la concentration des différentes techniques, ce qui évite le déplacement du cheval sur différents sites d’examens. Les praticiens réunis là disposent d’une expérience inestimable tant ils ont vu de cas différents défilés sous leurs yeux et leurs machines ! Pas étonnant que les étudiants des écoles vétérinaires se pressent à leurs portes. Un partenariat a même été noué avec l’Université de Liège. Car le CIRALE est aussi un centre de recherche de haut niveau. Ses vétérinaires ont publié de nombreuses études sur l’amélioration des techniques d’échographie haute résolution, de scintigraphie ou d’IRM qui peuvent tout aussi bien s’appliquer à la médecine sportive humaine, ils ont documenté des pathologies particulières comme jamais auparavant et même participé à la mise au point de nouveaux traitements. « Le cheval est un professionnel du sport, c’est un excellent modèle pour toutes les lésions spontanées de l’appareil locomoteur, analyse le Pr Denoix. Les structures anatomiques sont de grande taille, cela facilite la production d’images de très bonne qualité qui peuvent ensuite servir à mieux comprendre pathologies chez l’athlète humain. Tout ce qu’on observe au niveau des tendons est facilement extrapolable à l’homme. Actuellement nous évaluons un produit pour réparer les tendons lésés, si ça marche, des essais sur l’homme pourraient être envisagés. »

Autre avantage, sur le même site que le CIRALE se trouvent le laboratoire de pathologie équine de l’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire (ANSES), spécialisé dans l’amélioration de la santé du cheval, et le laboratoire Franck Ducombe, un des plus anciens et des plus importants laboratoires d’analyse expert dans le domaine équin. Récemment s’est aussi ouvert un centre de médecine sportive qui travaille plus particulièrement sur l’appareil respiratoire et cardiaque du cheval, notamment en procédant à des exercices sur tapis roulant. On ne peut rêver plus stimulant comme environnement pour la recherche équine ! À n’en pas douter, la venue des Jeux Équestres Mondiaux en 2014 en Normandie sera l’occasion pour le CIRALE et ses partenaires de faire parler d’eux.

Émilie Gillet


De la fécondation in vitro au clonage, la France en tête

Lorsqu’un étalon devient un athlète de haut niveau, le faire se reproduire permet à son propriétaire de gagner encore plus d’argent. Mais cela prend du temps, en transports et en tentatives répétées, et surtout de l’énergie ! Difficile donc à concilier avec une carrière sportive. Pour contourner ces obstacles, les biologistes ont mis au point à la fin des années 1980 des techniques d’insémination artificielle, des chercheurs français de l’INRA et des Haras Nationaux parvenant même à congeler du sperme sans en altérer les propriétés de fécondation. Dès lors, plus besoin de faire se rencontrer étalons et juments puisqu’il devint possible de stocker de la semence, de multiplier les doses (les paillettes) et de les expédier à l’autre bout du monde. Un étalon peut ainsi « féconder » plusieurs centaines de juments la même année tout en continuant sa carrière sportive ! Puis les équipes de recherche se sont intéressées aux juments avec le même objectif. C’est l’équipe d’Éric Palmer à l’INRA qui obtint la première naissance au monde d’un cheval par FIV en 1990. Par la suite les transferts d’ovocytes et même d’embryons se sont multipliés. Grâce aux mères porteuses, les juments de sport se reproduisent sans effort, même si ces techniques sont très contrôlées voire interdites dans certaines races. Ainsi chez le pur-sang anglais, star des hippodromes, seule la saillie naturelle est autorisée.

Mais revenons aux mâles : l’immense majorité est castrée dès l’âge de 6 mois, car leur fougue n’est pas toujours conciliable avec la compétition. Les gènes des champions échappent donc aux éleveurs. C’est là qu’intervient le clonage. Si le premier cheval cloné est une pouliche née en Italie en 2003, c’est Éric Palmer, encore lui, qui a sorti la technique du laboratoire pour l’emmener sur un terrain plus commercial. En 2001, il a quitté l’INRA pour fonder sa société privée, Cryozootech. Son but est clair, cloner des hongres (étalons castrés) ou des athlètes morts brutalement afin de créer un double destiné uniquement à se reproduire. Malgré une technique encore incertaine, plusieurs poulains sont déjà nés, clones de champions de sauts d’obstacles ou d’endurance. L’un d’entre eux a même commencé sa carrière de reproducteur en 2010. Il est encore trop tôt pour juger de la qualité de ses poulains, et pour l’instant, aucune race ne reconnaît officiellement ces clones ou descendants de clones, ce qui dans le monde de l’élevage est un inconvénient de taille.


La thérapie cellulaire au galop

En médecine équine, les cellules souches sont déjà une réalité. Là où chez l’homme les essais cliniques se multiplient avec des résultats mitigés, où les chercheurs tâtonnent et les obstacles réglementaires sont nombreux, chez le cheval le business de la médecine régénérative se développe rapidement. En Angleterre et aux Etats-Unis, des sociétés privées commercialisent d’ores et déjà une technique de réparation des tendons à base de cellules souches. Celles-ci sont prélevées dans la moelle osseuse du cheval (en général au niveau du sternum), préparées en laboratoire puis injectées au niveau d’une lésion tendineuse. Les résultats sont encourageants même si la technique reste très empirique et la comparaison avec les thérapies classiques difficile. Face aux cellules souches, de nombreux vétérinaires s’interrogent donc : médecine d’avenir ou effet de mode ? La société britannique Med Cell (la version « humaine » de Vet Cell) a quant à elle déjà fait son choix en s’alliant à d’éminents chirurgiens orthopédistes pour lancer des essais cliniques chez l’homme dès 2012.


À chacun son dopage

Un air pauvre en oxygène force l’organisme à produire plus de globules rouges, pour compenser. Les athlètes le savent bien : ils s’entraînent en altitude, dorment dans des tentes hypoxiques. D’autres optent pour la stimulation chimique en prenant de l’EPO. Evidement ces formes de dopage ont été testées chez le cheval, mais avec un succès très limité. Car le cheval possède une botte secrète : sa rate est capable de stocker près de la moitié des globules rouges et de les relarguer dans le sang en cas d’un effort musculaire intense. Revers de la médaille, un sang trop riche engorge les microvaisseaux et c’est la fourbure, une dangereuse inflammation des tissus du pied. Pour l’instant, les études scientifiques sur les effets de l’altitude sur les performances de chevaux présentent donc des résultats très ambigües. Pas de quoi envoyer les chevaux de l’équipe de France en stage à la montagne avant les J.O de Londres…
(Cyril Entzmann dispose de photos sur la piste d’entraînement située en altitude à l’Alpe d’Huez)


Bientôt des spas pour chevaux !

Si les bienfaits de l’eau sont connus de longue date par les entraineurs de chevaux, il s’est créé aujourd’hui un véritable marché autour de la balnéothérapie. Des séances de travail sur la plage les pieds dans l’eau aux massages au jet en passant par les onguents à l’argile, de véritables centres de thalassothérapie proposent désormais tout un panel de soins pour chevaux ! En période de convalescence, la marche en piscine permet ainsi une récupération tout en douceur : l’eau chaude décontracte les muscles, la poussée d’Archimède réduit les contraintes sur les articulations et la résistance même de l’eau permet un travail en profondeur sans excès pour les tendons. Reste que ces soins coûtent chers et sont donc pour l’instant réservés aux cracks.

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