Santé Magazine n°465 – septembre 2014
Plusieurs entreprises travaillent actuellement à la mise au point de prothèses permettant à des aveugles de recouvrer une certaine vision. Des patients français participent aux essais cliniques, et l’une de ces prothèses est d’ores et déjà commercialisée.
Quand on demande à Patrice, 63 ans, à quel âge il est devenu aveugle, il a du mal à s’en souvenir. Parce contre, il n’a pas oublié le jour où il a été implanté avec une prothèse rétinienne : « c’était le jeudi 22 janvier 2009. Quelques semaines plus tard, lorsque la prothèse a été allumée pour la première fois, j’ai perçu des lumières stroboscopiques, un peu comme en boîte de nuit. » Patrice préfère parler de perception visuelle plutôt que de vision. Pour cet homme qui a longtemps exercé le métier de photographe, perdre la vue subitement vers l’âge de 50 ans, a été plus qu’un choc. « Ma vie a changé grâce à la prothèse. Avant je me cognais tout le temps, même avec ma canne. Je n’avais pas encore beaucoup de repères car ma cécité était relativement récente. Aujourd’hui, je me déplace plus facilement, même lorsque je suis dans un environnement inconnu. »
L’histoire de Patrice n’est pas unique. Ils sont même une petite centaine dans le monde à avoir retrouvé une certaine forme de vision lors d’essais cliniques testant des prothèses rétiniennes. « Il s’agit de personnes qui ont perdu progressivement la vue à l’âge adulte jusqu’à devenir complètement aveugles, à cause d’une rétinite pigmentaire. Cette maladie génétique conduit à la disparition progressive des cellules responsables de la perception de la lumière », explique le Pr José-Alain Sahel, directeur de l’Institut de la Vision à l’hôpital des Quinze-Vingts à Paris. Chez ces personnes, le nerf optique demeure fonctionnel, un prérequis indispensable à la pose d’une prothèse rétinienne (voir encadré).
« Avec la prothèse, je perçois grossièrement des lignes, comme un poteau dans la rue, les passages piétons, le bord d’une table, le tour d’une fenêtre… », décrit Patrice. Pour en arriver là, une longue rééducation a été nécessaire. Il a fallu que le cerveau de Patrice apprenne à décoder les informations transmises par l’implant et les associe à des images connues. « Pour l’instant, je vois une image qui fait environ 60 pixels. Pour distinguer grossièrement un visage, il paraît qu’il faut au moins 1600 pixels », quand n’importe quel smartphone fait des photos de plusieurs millions de pixels ! « Ce qui serait vraiment bien, c’est que la prothèse me suffise lorsque je me déplace dehors et que je n’ai plus besoin de ma canne », confie Patrice.
Plusieurs entreprises développent actuellement des prothèses rétiniennes à travers le monde. Sous la coordination du Pr Sahel, sept patients français participent ainsi à deux essais cliniques. Trois ont été implantés avec la prothèse Iris de l’entreprise française Pixium Vision, et quatre, dont Patrice, avec la prothèse Argus II de l’américain Second Sight. « Ces deux implants, même s’ils diffèrent un peu techniquement, ont des performances pour l’instant comparables, précise le Pr Sahel. Avec l’Iris, les patients sont par exemple capables de trier selon leurs formes des pommes et des bananes, de faire la différence entre des chaussettes noires, blanches ou grises, de voir une porte, une fenêtre… Ils peuvent aussi lire de très gros caractères. » Mais pour l’instant, il n’est pas encore question de lire ne serait-ce que les titres d’un journal.
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