Article paru dans Recherche & Santé n°170, la revue de la Fondation pour la recherche médicale, en avril 2022 /
En mars 2021, l’Agence nationale de sécurité des médicaments (ANSM) a lancé la première expérimentation française sur le cannabis dit « médical ». Mais s’agit-il vraiment d’un médicament comme les autres ?
Points de vue de deux experts sur cette question.
Nicolas AUTHIER
Psychiatre et pharmacologue au CHU de Clermont-Ferrand et UMR Inserm 1107 sur la douleur président du Comité scientifique de l’ANSM sur l’expérimentation du cannabis à usage médical.
OUI
Dans cette expérimentation qui peut inclure jusqu’à 3 000 volontaires en même temps, nous utilisons des extraits de la plante de cannabis dits à large spectre : ils contiennent principalement deux types de phytocannabinoïdes, THC et/ou CBD, à des concentrations précises et connues, mais aussi plein d’autres molécules qui ne sont, elles, pas quantifiées. Il s’agit bien de cannabis médical car tous les procédés de fabrication relèvent des bonnes pratiques de fabrication d’un médicament d’une part, ces extraits font l’objet d’une prescription par un professionnel de santé d’autre part ; et enfin ils sont prescrits dans 5 indications précises et seulement lorsque d’autres traitements se sont avérés inefficaces. Ces indications ont été choisies sur la base d’études préexistantes qui ont apporté un niveau de preuve suffisant pour rendre pertinent la prescription de ces médicaments à base de cannabis à usage médical : il s’agit de formes sévères d’épilepsie, de symptômes liés au cancer ou à ses traitements, de douleurs neuropathiques sévères, de douleurs liées à la sclérose en plaques ou d’autres maladies du système nerveux central et enfin les situations de soins palliatifs. Pour autant, il faut bien comprendre que nous ne menons pas un essai clinique pour déterminer l’efficacité du cannabis médical, mais une expérimentation de politique publique. L’objectif est de tester les conditions de mise à disposition de ces produits pharmaceutiques dans l’optique d’une future autorisation en France. Car ce n’est pour l’instant toujours pas le cas. D’ailleurs, nous réfléchissons aussi en parallèle aux conditions nécessaires pour que soit autorisée dans notre pays la culture du cannabis médical et sa transformation en médicaments.
Giovanni MARSICANO
Directeur de l’équipe Endocannabinoïdes et neuro-adaptation au Neurocentre Magendie (Inserm – Université de Bordeaux)
OUI
Le cannabis est utilisé depuis des siècles et par de nombreuses cultures pour soulager divers symptômes. La question qui se pose à nous aujourd’hui est de savoir si c’est la plante elle-même, avec toute la complexité de molécules qu’elle contient, qui a une efficacité thérapeutique, ou s’il s’agit seulement de certains cannabinoïdes. Et dans ce cas, il va falloir déterminer quelle molécule, pour quel effet et dans quelle indication. On ne sera alors plus sur du cannabis comme médicament mais sur des cannabinoïdes thérapeutiques – qui peuvent être extraits de la plante ou bien synthétisés par voie chimiques –. C’est d’autant plus complexe que l’on a déjà montré que pour certains cannabinoïdes, la relation entre la dose et l’effet n’est pas linéaire et proportionnel : par exemple chez les souris, selon la dose administrée, le THC peut stimuler ou bien ralentir la motricité, idem pour l’appétit ou son effet sur l’anxiété. Par ailleurs, le cannabis peut avoir des effets individuels différents d’un patient à l’autre. Ainsi, l’expérimentation française va être très utiles aussi pour identifier les “types” des patients qui potentiellement peuvent avoir le plus d’avantages par ce traitement. Enfin, il ne faut pas négliger que le cannabis ou même les cannabinoïdes seuls peuvent avoir des effets indésirables. Ils augmentent par exemple le risque de psychoses à l’adolescence, provoquent des troubles de la mémoire et de la concentration et peuvent induire des effets moteurs comme la catalepsie. Il est donc nécessaire de continuer à mener des recherches précliniques et des études cliniques pour comprendre les mécanismes d’action précis des cannabinoïdes si l’on veut envisager une utilisation thérapeutique maitrisée.