Le cerveau se modifie tout au long de la vie. Interview FRM#138

Interview paru dans Recherche & Santé n°138
La revue de la Fondation pour la Recherche Médicale – avril 2014

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« Le cerveau se modifie tout au long de la vie. Mais avec l’âge, les mécanismes de réparation deviennent moins efficaces. »

Le Pr Alain Prochiantz dirige le Centre interdisciplinaire de recherche en biologie du Collège de France. Ce neurobiologiste de renom a consacré sa carrière à l’étude du développement cérébral, et plus particulièrement aux voies de communication entre cellules. Cette année, il anime un cours sur la longévité cérébrale au Collège de France.

 

Sait-on pourquoi le cerveau vieillit-il ?
Alain Prochiantz : Tout le corps vieillit, pas seulement le cerveau ! Mais il faut changer notre façon de voir les choses. Cessons de voir l’organisme comme étant à un état de perfection à un moment donné puis se dégradant progressivement. En réalité, tout se modifie en permanence, c’est un état dynamique perpétuel : ainsi l’ADN se casse et se répare sans cesse, nos cellules se renouvellent en permanence. Dans le cerveau, on a longtemps pensé que ce n’était pas le cas, mais l’on sait désormais avec certitude qu’il y a au moins une région de notre cerveau où des neurones se renouvellent même à l’âge adulte. Il s’agit de l’hippocampe, siège d’une certaine forme de mémoire appelée mémoire de travail. Ce renouvellement constant existe aussi au niveau des synapses, et ce dans l’ensemble du cerveau : tout au long de la vie, les connexions entre les neurones évoluent, se créent, disparaissent, se renforcent etc. Cette dynamique implique des atteintes à de nombreuses structures, y compris l’ADN, et des mécanismes de réparation et de renouvellement. On peut proposer qu’avec l’âge ces mécanismes deviennent moins efficaces, avec accumulation d’erreurs et dysfonctionnements physiologiques.

Peut-on mesurer ces dysfonctionnements, évaluer en quelque sorte le vieillissement cérébral ?
Alain Prochiantz : Ce que l’on observe c’est le déclin cognitif : avec l’âge, on se souvient moins bien de certaines choses, on met plus de temps à raisonner, les pensées sont moins organisées. D’ailleurs, c’est la mémoire de travail qui est touchée en premier. Avec certaines techniques d’imagerie cérébrale, on peut observer des modifications au niveau des structures cérébrales et de leur fonctionnement, mais pour autant il n’existe pas de lien explicite entre ces phénomènes. Par exemple la quantité de plaques séniles présentes dans un cerveau n’est pas proportionnelle au déclin cognitif. Probablement que l’on ne dispose pas aujourd’hui des bons biomarqueurs ou d’imagerie cérébrale permettant de mesurer avec précision le vieillissement du cerveau. Il reste donc beaucoup à explorer !

La recherche s’intéresse-t-elle davantage au vieillissement parce que l’on vit de plus en plus vieux ?
Alain Prochiantz : Oui sans aucun doute, du moins dans nos pays développés où l’espérance de vie a doublé ces 150 dernières années. Autrefois, on mourrait avant de vieillir. C’est donc une préoccupation sociétale et scientifique assez récente. Mais l’important c’est de ne pas déconnecter la santé et les maladies. Il faut étudier les processus pathologiques mais aussi s’intéresser au cerveau sain qui vieillit. La pathologie est une physiologie qui « déraille » et le recherche fondamentale doit conserver une place très importante.

Comment étudie-t-on le vieillissement ?
Alain Prochiantz : Il y a de très nombreux outils à notre disposition. Le vieillissement du cerveau peut en effet s’observer sous un angle génétique, moléculaire, physiologique, cognitif, comportemental… Il s’agit essentiellement de travaux sur des modèles animaux, qu’il est parfois difficile de rapprocher de l’homme. Mais il est possible d’étudier directement l’Homme lorsqu’il est atteint d’une maladie comme la progeria* : les maladies de ce type sont des outils particulièrement intéressants pour étudier les mécanismes de vieillissement.

Quelle piste vous semble la plus prometteuse ?
Alain Prochiantz : C’est très difficile de répondre et toutes les pistes qui s’offrent à notre curiosité sont prometteuses. Une piste récente est l’instabilité des génomes, y compris dans les cellules cérébrales. La structure de ces assemblages d’ADN et de protéines qui constituent la chromatine des noyaux joue un rôle important dans la régulation de l’expression des gènes, voire dans la protection et de la réparation du génome. Or cette structure est dynamique, elle varie en permanence, sous le contrôle de nombreux mécanismes physiologiques mais aussi de situation pathologiques. C’est fascinant, mais probablement qu’il existe des centaines d’autres sujets d’étude très prometteurs !

Existe t’il des animaux dont le cerveau ne vieillit pas ? Pourrions-nous nous en inspirer ?
Alain Prochiantz : Prenez un poisson et détruisez une partie de son cerveau. Elle va se reconstituer, en apparence à l’identique, un peu comme la queue du lézard. Même si nombre de ses structures sont dynamiques, comme on vient de le rappeler, le cerveau des mammifères, et donc le nôtre, n’a pas cette grande plasticité. Il existe des freins à la plasticité dont on peut supposer qu’ils sont nécessaires pour notre mémoire, donc en partie pour notre cognition. A l’inverse trop de stabilité serait synonyme d’incapacité à s’adapter, à évoluer. Il faut donc comprendre la nature de cet équilibre entre les structures pérennes et celles qui se modifient au cours de notre vie. Cela nous ramène à la question des mécanismes de réparation et de renouvellement sur laquelle nous avons ouvert notre entretien !

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