Les corps célestes

Sciences & Avenir – janvier 2010
Depuis 20 ans la chorégraphe Kitsou Dubois travaille sur l’apesanteur. Avec ses danseurs, elle expérimente vols en gravité zéro et danse sous l’eau. Forte de ses collaborations avec différentes équipes scientifiques, elle réinvente dans ses spectacles les rapports entre corps, mouvements et espace.

« Établir des protocoles, expérimenter, valider… » Lorsque Kitsou Dubois parle de son travail, on est surpris par le vocabulaire scientifique. De fait, cette chorégraphe s’intéresse au corps en apesanteur et collabore pour cela avec de nombreuses équipes de chercheurs. Tout commence dans les années 1980 lorsque Kitsou Dubois rencontre une équipe d’architectes qui travaillent sur l’habitabilité de la navette spatiale Columbus. « Ils s’interrogeaient sur les déplacements des astronautes, l’ergonomie des équipements. Ils m’ont demandé d’y réfléchir avec eux », raconte-t’elle. Elle imagine un programme d’entraînement pour les astronautes basé sur la danse. En 1989, elle obtient une bourse “Villa Médicis Hors les Murs” qui lui permet d’effectuer un séjour à la Nasa.

Grâce au CNES (Centre National d’Études Spatiales) elle effectue son premier vol parabolique. « Cette expérience de l’apesanteur m’a bouleversée, confie Kitsou. J’ai décidé d’axer tout mon travail là-dessus et créé Gravité Zéro, mon premier spectacle sur ce thème. » S’interrogeant sur la production d’un mouvement en apesanteur, elle collabore ensuite avec le laboratoire de physiologie de la perception et de l’action (CNRS UMR 7152) dirigé par Alain Berthoz. En parallèle, elle multiplie les vols en apesanteur avec quelques danseurs et travaille avec Carole Tafforin, chercheuse en éthologie humaine et spatiale. Les spectacles se succèdent et ne se ressemblent pas : Trajectoire fluide, créé en 2002, parle des mouvements du corps avec et sans gravité, des trajectoires de l’homme dans son environnement. Analogies, créé en 2004 à la Villette, est une réflexion sur la fluidité, la continuité et l’inertie des mouvements, nourrie par une collaboration avec L’Institut de mécanique des fluides de Toulouse.

« Sans l’Observatoire de l’Espace du CNES, je n’aurai jamais pu faire tout ça », souligne Kitsou Dubois. Cet organisme travaille en effet sur la présence de l’espace dans notre culture. Dans son nouveau spectacle, Traversées, la chorégraphe utilise les sensations perçues par ses danseurs lors de séances de travail en vol et dans l’eau. Avec l’aide de chercheurs de la Maison des Sciences de l’Homme de Paris Nord, elle couvre ses danseurs de capteurs de mouvements qui leur permettent de contrôler la bande son avec leur propre corps. Ainsi ils réinventent à chaque représentation les liens entre mouvements et espace. « Le corps de l’astronaute ou du danseur en apesanteur est une sorte de métaphore de l’époque actuelle : nous devons sans cesse nous réinventer des repères », résume t’elle.

Sce&Av_corps_celestes©Gillet-1

Traversées en tournée

– 22 janvier au Carré des Jalles, Festival Des souris, des hommes 1.2 à St Médard des Jalles
– 10 mars au Phénix, Scène Nationale de Valenciennes
– 16 mars au Théâtre de Vanves, Festival Artdanthé
– 18 et 19 mars à la Scène Nationale de Sénart, Initiatives contemporaines
– 30 mars 2010 à La Brêche de Cherbourg, Festival Spring

INTERVIEW
Kistou Dubois, chorégraphe et chercheuse en danse
– Pourquoi travailler sur la notion d’apesanteur ?
En tant que chorégraphe, je m’intéresse à la suspension, ce court instant entre deux mouvements où le corps du danseur s’exprime en toute liberté. Naturellement, l’apesanteur offre des conditions rêvées pour cela. C’est un champ d’expérimentation extraordinaire pour étudier la naissance du mouvement et interroger les frontières du corps.
– Vous emmenez vos danseurs dans l’eau et dans des vols en gravité zéro, pourquoi ?
Mieux vaut des sensations que des beaux discours ! Il est essentiel pour moi que les danseurs expérimentent leur propre corps dans des environnements où la gravité est altérée. Qu’ils explorent de nouvelles perceptions, qu’ils se fabriquent de nouveaux appuis à l’intérieur et à l’extérieur d’eux-mêmes. En apesanteur, on a un flux de sensations très particulières qui sont normalement masquées lorsqu’on est sur Terre, car la gravité est une force très importante.
– Que vous apporte votre travail avec les scientifiques ?
Il m’a d’abord fallu apprendre à travailler dans un milieu très différent du mien, tout comme les danseurs en apesanteur doivent apprendre à bouger autrement. En menant en parallèle des recherches appliquées, les vols en gravité zéro, et fondamentales, dans un laboratoire de neurophysiologie, j’ai peu à peu adopté la démarche scientifique. En 1999, j’ai même passé une thèse en esthétique, sciences et technologie des arts. Cela m’a permis de gagner en légitimité face aux chercheurs. Même si le dialogue entre art et science est parfois difficile, c’est vraiment passionnant. En accumulant de nouvelles connaissances, on vit différemment son art.

Éléments de légende :
– (espace) 25 secondes Depuis 1991, Kitsou Dubois a participé à une dizaine des vols en gravité zéro, emmenant quelques danseurs avec elle. Chaque parabole décrite par l’avion offre 25 secondes d’apesanteur. À chaque vol s’enchaînent 30 paraboles.
– (eau) Sous l’eau Pour s’entraîner aux effets de l’apesanteur, les astronautes travaillent couramment en piscine. C’est aussi ce que fait Kitsou Dubois avec ses danseurs. Elle multiplie les séances de travail en piscine.
– (eau) De nouvelles sensations
L’eau n’offre pas seulement une gravité altérée, c’est aussi un milieu dans lequel les mouvements se font plus lents. La durée d’une apnée se rapproche de la brièveté du temps d’apesanteur en vol.
– (espace) Retrouver ses repères
Lors d’un vol en gravité zéro, les informations fournies par le regard, les sensations corporelles et l’oreille interne peuvent être contradictoires. « La gestuelle est à réinventer, quoi de plus merveilleux ? », s’enthousiasme la chorégraphe Kitsou Dubois.

Voir le portfolio en pdf avec les photos de Cyril Entzmann

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